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b80 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

II

Maintenant qu’est-ce qu’être spirituel, qu’appelle-t-on esprit ? Je vois assez clairement qu’il y a plusieurs manières d’avoir de l’esprit. L’une d’elles se détache d’abord entre les autres, précisément par sa ressemblance avec le comique. Plus de personnages ici l’auleur ou le discoureur parle en son propre nom mais, s’il fait rire ou sourire, c’est. qu’il s’est donné à lui-même un caractère fictif, c’est qu’il a endossé un personnage. "Voltaire, par exemple, fait le chrétien. Courier fait le paysan. Il semble que nous les voyons jouer une charade. L’opposition du vrai et du faux Voltaire, les idées que le faux Voltaire avance, si inconvenantes au vrai Voltaire, tout ce désajustement nous amuse ; nous le trouvons spirituel. Ceci, dis-je, ressemble à la comédie ; et, en effet, l’auteur a vraiment créé un personnage seulement il le prend à son compte, il le joue lui-même. Fiction d’un caractère qu’on n’a pas, d’idées, d’opinions qu’on ne professe pas, surtout peut-être de défauts moraux ou intellectuels qu’on n’a pas, voilà de quoi est fait ce genre d’esprit ; mais il y entre encore autre chose une intention, une émotion de malice ou de gaieté. Et cet élément est le plus nécessaire. Sans lui la fiction n’empêcherait pas le propos de l’auteur ou du discoureur de tomber dans la littérature grave.

Je parlais toutîi l’heure de Voltaire. Un jour, à Ferney, un visiteur, comme Voltaire en recevait tant, lui donnait des nouvelles de la France, de Paris, du mouvement des idées ; et le visiteur, sachant bien qu’il allait flatter son hôte, lui disait « Monsieur, la religion est en train de s’en aller ». Et Voltaire de prendre un air désolé et de répondre «Hélasl. Monsieur, de quoi rirons-nous ? – II nous restera toujours le gouvernement, dit l’autre. – Non, Monsieur, non, reprend Voltaire, hors de l’Église point de salut. » Voilà un bon exemple, je crois, du personnage feint, du rôle endossé dans une intention de malice ; je sais bien qu’à la fin du dialogue se trouve un mot qui appartient à un autre genre d’esprit ; je relèverai ce mot plus loin. Le personnage qu’on se donne peut être plus ou moins contradictoire avec ce qu’on est ; il peut être plus ou moins complexe et chargé de détails ; il peut consister dans l’affectation d’un vice du moral ou d’une infirmité de l’esprit, rien n’est plus varié. Et tout n’est pas égal, au point de vue du goût, de la qualité. Il y a des fictions délicates, et d’autres grossières ; il en est de trop aisées à trouver et qui