Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/579

Cette page n’a pas encore été corrigée

P. LACOMBE. DU COMIQUE ET DU SPIRITUEL ; 875

fâcheux du pantalon. Toutefois, que cela arrive à un jeune garçon sans conséquence, ce n’est que modérément drôle mais imaginez que cela advient à un hommetrès grave, très important, à un magistrat gourmé par exemple, ne sentez-vous pas que cela sera beaucoup plus risible ? Et ne voyez vous pas pourquoi ? I Que l’esprit soit fermé un instant à l’idée des conséquences vraiment nuisibles, c’est là, je l’ai déjà dit, la condition du rire intellectuel. Le spectateur qui rit est momentanément une sorte de clilettante, qui considère les divers détraquements de l’intelligence, en eux-mêmes, et sans souci des suites. Aussi l’auteur comique doit-il voiler les conséquences sérieuses que les défauts, les vices représentés peuvent semer autour d’eux, sur la tête des autres. Il lui est beaucoup plus permis de montrer les embarras, les peines, dans lesquels le vicieux tombe du fait même de ses vices ; mais, même dans cette voie, il ne faut pas qu’il pousse trop avant. Il est des personnes qui ne savent pas rire et n’aiment pas que les autres rient. Considérez quelles sont ces personnes ; vous verrez que ce sont les esprits exclusivement préoccupés des conséquenc es pratiques ou morales, et qui ne peuvent pas, même un instant, s’en désintéresser. Ces esprits-là font au rire, toute sorte de reproches ; ils accusent le rieur d’avoir un fond de méchanceté ou au moins de malveillance et surtout de s’enorgueillir par une comparaison de soi avec la personne dont on rit. L’imputation de malveillance est, je crois, juste à l’égard de certains rieurs, fausse à l’égard d’un grand nombre.

Le rire n’a pas nécessairement la malveillance pour support. Il peut fort bien exister sans la malveillance, comme elle existe sans lui, car sûrement les gens graves n’en sont pas exempts. Je ferai volontiers une distinction qui est en même temps une concession. Ce qui pourrait fort bien être lié avec le rire, d’une façon indissoluble ou à peu près, c’est cette comparaison de soi avec la personne moquée, où finalement on s’accorde avantage et supériorité, mais, remarquons-le cependant, le rire n’est pas causé par l’orgueil qui se. compare, car il le- précède ; en son premier moment le rire est exempt de tout orgueil, comme il est désintéressé à l’égard des conséquences nuisibles. Ce n’est pas parce qu’on se croit supérieur qu’on rit, mais il n’est que trop vrai que presque inévitablement on -se croit supérieur au moins momentanément et sous un rapport parce qu’on a ri. 11 n’est rien sans inconvénient, sans revers fâcheux.