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514 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

caractères des connaissances formant nos sciences établies ? Ne risque-t-on pas, à cette sorte de jeu de mots, de rester, avec soimême et surtout avec les autres, dans une perpétuelle amphibologie ? Si la sociologie est vraiment unique de son espèce, à la fois théorique et pratique, dépassant le phénomène et les rapports entre phénomènes, portant sur un objet à la fois réel et idéal, autant vaut dire qu’elfe n’est pas une science. Ou bien elle sera une Science, comme la métaphysique est une science alors que signifiera « science de précis, sur quoi on puisse s’entendre et discuter ? Ce rapprochement de lasociologieet de la métaphysique a peut-être plus de fondement qu’il n’en paraîtrait au premier abord. La science (proprement dite) n’épuise pas le réel, elle ne va pas à l’être. Notre esprit supporte impatiemment cette limite, et de tous temps (il a même commencé parla), il a prétendu aller à l’être même, dans les choses et en notre individu. Seulement, la réalité est sans doute trop riche et trop concrète, pour que notre esprit puisse jamais la saisir intégralement ; et les métaphysiques se sont succédé, aussi nombreuses que les philosophes, non sans progrès, mais sans acquis définitif. A notre époque, où la poussée démocratique a révélé aux individualismes les plus rebelles la force et la vie des collectivités humaines, c’est par l’effet de cette même tendance que notre esprit a cru (à tort ou à raison), à une entité sociale, comme il avait cru à des entités dans les choses, à une entité individuelle. Il a cherché et il cherche à étreindre cette réalité, et cette réalité, comme les autres, lui échappe toujours. Il la sent (ou croit la sentir), mais il est incapable de l’exprimer jamais intégralement en une notion déterminée. On pourrait même, reprenant le jeu d’analogie mis à la mode par les sociologues organicistes, retrouver dans les systèmes sociologiques les types correspondant aux grands systèmes métaphysiques s’y amusera qui voudra.

Cela n’est point pour condamner la sociologie ; mais c’est pour en définir une bonne fois le caractère. Il est vrai, ici, l’esprit positif a fait son œuvre. De même qu’il a voulu étudier l’âme sans faire de métaphysique, il s’est efforcé de substituer à la « sociologie métaphysique » une science sociale. De pareilles tentatives ne sont pas condamnables a priori ; elles se légitiment par le succès. C’est une question de fait. On n’a pas à juger ici de la psychologie scientifique (au sens restreint). Quant à la science sociale positive, par définition, peut on dire, elle renonce à exprimer intégralement le réel, puisque,