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R. EUCKEN. – LA PHILOSOPHIE ET LE MOUVEMENT RELIGIEUX. 4H beaucoup d’efficacité. Mais c’est une forme plus raffinée de cet utilitarisme qui subsiste lorsque l’idée de l’utilité de la religion pénètre la conviction intime, gagne en celle-ci du terrain, et envahit les impressions plus sincères, comme la mauvaise herbe. Ainsi vient à naître une forme bâtarde et louche de la vie religieuse, une confusion de motifs inférieurs et supérieurs, par où les motifs inférieurs, étant les plus commodes, n’ont pas de peine à attirer à eux l’âme tout entière.

Contré cette confusion et cet obscurcissement la philosophie doit défendre la thèse que la religion ne peut exercer d’action profonde et puissante que là où elle est désirée seulement en vue d’elle-même, t et, s’il le faut, en opposition à tout le reste du monde. Elle doit ! révéler le mensonge interne de l’utilitarisme religieux, qui pense à l’humain lorsque sa bouche parle du divin, qui substitue à la considération de la vérité la considération d’une fin à atteindre, subordonne l’éternité au temps, et en même temps se glorifie de posséder la vérité divine cette façon déloyale d’agir fait plus de mal à la religion que toutes les attaques extérieures. Puisse, en contraste, la parole du plus grand philosophe grec parmi les Pères de l’Église n’être jamais oubliée « Rien de batard ne doit habiter l’âme de », l’homme vraiment pieux » oùSàv vôô.ov /j>r, IvuTOxp^siv r/J tyuyr, -où àX7|8ôç 1 dç xb Oetov eôssêouç (Origène).

Ainsi, même à présent, la philosophie a bien des tendances à combattre, qui se proposent de subordonner, en un sens utilitaire, la religion aux intérêts de l’homme. Elle doit s’opposer à ce que la religion soit recommandée en vertu de la sécurité intellectuelle née de l’autorité qu’elle garantit à l’homme livré faute de cela au doute ; car, d’une façon absolue, avons-nous le droit d’exiger cette inébranlable sûreté, et l’ordre du monde a-t-il été disposé pour notre commodité ?

Cette aspiration à là certitude a inspiré souvent à des 

esprits profondément religieux d’âpres sarcasmes à Pascal par exemple (« on aime la sûreté »). Également insuffisante est la justification de la religion qui se fonde sur ce que, sans elle, toute union pacifique des hommes, tout progrès de la civilisation ou encore toute autorité morale deviendrait impossible. Cela peut convenir à la disposition d’esprit d’un temps qui subordonne au problème l social tous les autres problèmes, et oublie, dans son souci de l’état social, les événements intérieurs de la personnalité ; mais l’argument n’est pas religieux, et fait subir un grave dommage à la sincérité de l