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v. DELBOS. Matière et mémoire. 371

la présentation à la conscience, d’autre part, la connexion logique ou causale de ce qui est présenté avec ce qui précède et ce qui suit. Ces caractères peuvent être en fait plus ou moins saillants, plus ou moins également combinés. Mais l’entendement logique les dissocie ; n’attribuant au monde extérieur que la connexion causale, au monde intérieur que la présentation à la conscience, il nous incline à concevoir une vie psychologique discontinue, sans cesse renaissante, comme si nous ne nous possédions pas nous-mêmes tout entiers en chacun de nos actes, et d’un autre côté une réalité matérielle, bien liée, mais figée en ses états, comme si elle n’entrait pas naturellement en rapport avec des consciences vivantes. Au fond l’inconscient du monde intérieur est plus proche de notre conscience actuelle que ^inconscient du monde extérieur. L’inconscient du monde intérieur constitue notre personnalité présente, qui opère en nous tout entière, tandis que l’inconscient du monde extérieur reste pour nous dans sa plus grande part inexploré et ne nous fascine de son existence que parce qu’il nous parait gros de promesses et de menaces. Ainsi le passé n’a pas cessé d’être ; il a cessé seulement d’être utile ; si la conscience l’exclut en principe, c’est qu’elle est occupée à regarder et à préparer ce qui se déroule actuellement ; et si elle en rappelle certains détails, c’est dans la mesure où ils lui paraissent pouvoir s’organiser avec notre état présent.

Voilà donc comment s’explique le rapport concret du présent au passé il y a une mémoire du corps, constituée par l’ensemble des systèmes sensori-moteurs que l’habitude a construits, qui joue notre expérience passée, mais n’en évoque pas l’image ; il y a d’autre part la mémoire vraie qui enregistre et retient tous nos états comme ils se présentent dans leur singularité ; ces deux mémoires, qu’il a fallu distinguer, uniquement pour montrer que la première n’est pas tout, ne sont pas deux mémoires séparées la première n’est que la pointe mobile insérée par la seconde dans le plan mouvant de l’expérience ; la mémoire vraie adresse aux mécanismes sensorimoteurs les souvenirs capables d’en diriger et d’en éclairer le fonctionnement les mécanismes sensori-moteurs fournissent aux souvenirs inconscients, c’est-à-dire impuissants, le moyen de prendre corps et de devenir efficaces. C’est l’accord de ces deux mémoires .qui caractérise les esprits bien équilibrés, les hommes de bon sens, détachés du rêve et affranchis de l’impulsion machinale, les hommes capables d’action éclairée. La première, livrée à elle seule, nous ferait