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204 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

II. Le Dieu immanent. Plus que jamais, nous éviterons de confondre l’ordre naturel avec l’ordre historique. En quel autre monde plus que dans le monde religieux, la méthode a-t-elle fait défaut, et les préoccupations étrangères ont-elles abondé ? Selon l’ordre naturel, on peut bien dire que la dialectique, de nouveau, commence par une sorte de phase concrète. Cela s’entend facilement. Comme au moment de l’empirisme et à celui de la morale du bonheur, elle ne porte pas encore atteinte à l’intégrité des choses. L’absolu reste uni à son élément opposé. Il apparaît au sein de circonstances historiques coordonnables et dans la trame des déterminations causales d’ordre pratique. On n’insiste pas sur celles-ci, mais on ne les écarte pas non plus. La dialectique religieuse n’est pour le moment qu’une sorte d’histoire, recueillant avec soin ses matériaux, les tournant sous toutes leurs faces, les montrant sous leur meilleur jour, mais n’essayant pas de les transformer, à plus forte raison de les employer à une construction nouvelle. Cependant l’absolu ressort déjà avec force. En tant que « donné », il est mis en contraste avec les lois scientifiques ; en tant que « donnant r, il est mis en contraste avec les lois morales.

Ainsi se présentent les sacrifices. J’entends les sacrifices définitifs, les seuls véritables. Si de profondes confusions ne s’étaient produites depuis longtemps à leur sujet, on reconnaîtrait bien vite qu’ils ne relèvent point de la dialectique pratique. La morale vous appelle bien à une sorte de renoncement, puisqu’elle vous met en demeure de choisir, et que choisir, c’est en un sens renoncer. Mais ce n’est pas encore un véritable sacrifice ; c’est un calcul, une balance, qui entraîne parfois des regrets, mais qui reste en somme l’expression du plus grand bien. On s’abstiendra, par exemple, d’un plaisir nuisible à l’ensemble des plaisirs mais le tout ne vaut-il pas mieux que la partie ? Or, impossible de faire ce calcul dans le véritable sacrifice. Celui-ci ne vise rien en dehors de son objet ; il se concentre dans l’acte où il s’accomplit ; il n’admet point de compensation. S’il entraîne une perte pour l’avenir, s’il est déjà une perte pour le présent, il l’accepte, ou, mieux encore, il l’ignore. Oui, l’acquiescement à la perte, et même l’ignorance voulue de la perte, tel est l’élément caractéristique du sacrifice. Et comment se refuser à y voir un hors la loi ? On a voulu faire du sacrifice le principe de la morale mais la morale ne réussit même pas à le légitimer. Bentham l’a dit avec raison « II n’est pas plus convenable, en