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qualités que si on lui donne pour point de départ au moins une qualité. 11 s’agit seulement de continuer ce qui a été fait, de le dépasser. Il ne faut pas songer non plus à réaliser un monde d’unités numériques qui serait plus chimérique encore que le monde des essences platoniciennes. Mais, au point de vue de la vérité scientifique, il est incontestable que le rationalisme quantitatif marque un nouveau progrès. La conscience s’attardait dans la nature qualitative de l’objet, ou de la série d’objets. Même dégagée de l’élément différentiel, elle était retenue, alourdie par le contenu des choses. Supprimez ce contenu, ne considérez que l’unité numérique, et vous obtenez un résultat analogue à celui du mot. L’obstacle disparaît, la pensée marche plus vite. Et puis les combinaisons d’unités numériques se saisissent bien plus facilement, en un nombre, que les combinaisons d’unités qualitatives, en un concept. Toute hésitation se dissipe à leur sujet ; elles ont un caractère de précision extrêmement avantageux pour la rapidité de la conscience. Rappelons encore que l’on peut ajouter, à la ressource des nombres proprement dits, celle des nombres-lettres, des nombres-signes. La cohérence, enfin, s’accroit sensiblement, car, pour passer d’une qualité à une autre, les séries numériques offrent des transitions à l’infini.

Cependant n’y aurait-il pas encore une abstraction dont la dialectique pourrait profiter ? Oui, il y a celle qui élimine l’élément psychique, et ne laisse subsister dans la conscience que l’élément physique. Tous les faits de conscience commencent par être psychiques mais alors ils sont impropres à la coordination, car ils échappent encore au rapport que la coordination suppose. C’est surtout au moment du plaisir et de la douleur que ce caractère est sensible. La vie affective est ce qu’elle est ; quand elle se compare, elle n’est déjà plus. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant qu’elle ait été généralement négligée dans les grands systèmes philosophiques. Avec la pensée apparaît la relation ; mais toute la conscience ne s’y absorbe pas, et, dans son ensemble, la vie psychique reste obscure. Elle est fortement sentie, mais elle n’est pas clairement connue. « Encore que nous connaissions plus distinctement l’existence de notre âme que l’existence de notre corps et de tous ceux qui nous environnent, dit avec raison Malebranche, cependant nous n’avons pas une connaissance si parfaite de sa nature que de celle des corps ». Comment donc établir, en ce domaine des rapprochements étroits, des dis-