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L. couturat. Sicr l’hypothèse des atomes. 239

plique aucun ordre réel qui lui corresponde entre les choses -en soi. C’est en vain qu’on interprète l’argument de Kant invoqué plus haut (p. 236) « en ce sens que, n’ayant point sa source en l’unité de l’esprit, il faut bien après tout que l’ordre du sensible, mis en pleine lumière par la possibilité même et le fait de la science, la trouve hors de l’esprit, et dès lors dans des choses dont on peut dire au moins qu’elles sont. (p. 263) » car cette assertion, que l’ordre du sensible n’a point sa source dans l’unité de l’esprit, nous paraît contraire aux principes et à l’esprit même de la Critique.

La seule réalité qu’un criticisme conséquent puisse reconnaître n’est ni l’une ni l’autre des deux réalités admises par M. Hannequin. En effet, la réalité empirique de Kant n’est’ nullement la réalité du phénomène brut, mais la réalité de l’objet d’expérience, produit de l’application des formes a priori aux données sensibles ; et comme l’objet d’expérience est construit par l’entendement en vertu de ses lois propres ! c’est à ces lois qu’il doit toute sa réalité. Or cette réalité, .étant relative à la constitution du sujet pensant, est essentiellement immanente à l’esprit, et l’on ne peut jamais y voir une preuve ni même un indice quelconque de l’existence d’une réalité transcendante. La sensation n’a par elle-même aucune valeur objective ; elle n’en reçoit une que de l’opération intellectuelle qui la soumet aux catégories et aux principes a priori pour l’ériger en objet d’expé- J rience ce n’est donc pas de sa matière, la donnée brute des sens, mais de sa forme’que cet objet tient son existence. Partant, il ne peut pas témoigner d’une f éalité, extérieure et étrangère à celle de l’esprit. Le fait de conscience, pris en soi, n’a aucune valeur, aucune signification et en ce sens, oh peut dire, en répétant un mot célèbre, que « rien n’est plus méprisable qu’un fait ». Ce qui est réel, c’est le t. L’auteur pourrait ici nous répondre ce qu’il a écrit ailleurs « On parle sans cesse de la brutalité des faits ; rien n’est, en réalité, si mobile, et n’exige, pour être observé fidèlement, des précautions si scrupuleuses. » (Introduction a l’étude de la Psychologie, p. 59.) Mais cette remarque confirmerait plutôt notre thèse • le fait que l’on qualifie de-brutal est le fait d’expérience vulgaire, beaucoup plus affectif que représentatif, et qui ébranle surtout notre sensibilité. Au contraire, le fait difficile à constater est, le fait scientifique ; d’où l’observateur élimine autant que possible tout élément sensible pour le rendre plus objectif. Or l’épuration que le savant fait ainsi subir aux faits bruts pour les mieux constater est une élaboration intellectuelle, et même, à force d’affiner, de subtiliser, d’idéaliser le phénomène à mesurer, on finit par le rendre presque. imperceptible et c’est ce qui explique la délicatesse et pour ainsi dire.la fragilité des faits scientifiques. L’expérience scientifique, toute pénétrée d’iritelligence, est aux antipodes de ̃ l’expérience vulgaire, sensuelle et grossière ; et c’est justement là l’expérience au sens où l’entendait Kant.