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4 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

position exacte de Hegel par rapport Kant et nous nous efforcerons de montrer que s’il s’est écarté de son devancier, c’est en allant plus loin que lui dans la voie qu’il avait ouverte. Sans doute Hegel est un dogmatique et personne ne le fut plus que lui, si l’on entend ce terme au sens antique et traditionnel, ’comme opposé à sceptique. Mais le mot a reçu de Kant une signification toute nouvelle. Croyant peut-être simplement le préciser, ce philosophe lui a en réalité imposé un sens particulier qui ne se comprend bien que par les principes sur lesquels est fondé son système. Le dogmatisme est pour lui la prétention à connaître ta chose en soi. Or, ainsi entendu, ce terme peut-il encore s’appliquer à l’hégélianisme

? Après Fichte, Hegel rejette purement et simplement 

les choses en soi de Kant. Il n’y veut voir qu’une vaine survivance de ce même dogmatisme dont Kant prétendait affranchir l’esprit humain. Comment l’accuserait-on de quitter le terrain solide de l’expérience pour s’élancer à la poursuite de chimères transcendantes

? Le monde transcendant de Kant est pour lui le vide absolu. 

La réalité n’est pas double ; elle n’a point un endroit et un envers, un dedans etun dehors sans communication entre eux, du moins sans communication qui nous soit intelligible. Elle est à la fois plus simple et plus complexe elle est une et continue, mais comporte de nombreux degrés, depuis la fugitive illusion qui n’apparaît que pour s’effacer, jusqu’à la vérité absolue d’où rayonne toute existence. Comment un philosophe prétendrait-il connaître ce qui pour lui n’existe pas ? Cependant ne nous hâtons pas de conclure. Hegel, après tout, ne serait pas le premier qui eût rétabli sous un nom ce qu’il avait rejeté sous un autre, et la question est assez importante pour mériter un examen sérieux.

Il nous faut d’abord rechercher comment se produit chez Kant le concept de chose en soi. Le sens commun distingue profondément la perception de la chose perçue. Pour lui cette chose, connue ou non, subsiste hors de nous dans l’espace réel et continuerait d’exister lors même qu’il n’y aurait plus au monde aucun être conscient. D’autre part, dans l’acte de percevoir, ce même sens commun identifie l’objet réel avec sa représentation mentale celle-ci n’est que la chose devenue, par on ne sait quelle miraculeuse opération, présente à la conscience du sujet. Il y a là une contradiction formelle, que, dès le début de la philosophie moderne, Descartes a mise en évidence. Descartes néanmoins, et après lui Malebranche, continuent