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G. NOEL. LA LOGIQUE DE HEGEL. 69

celui des modes à la substance. Or rien de plus différent que ces deux rapports. Tandis que le premier enveloppe une dépendance réciproque, dans le second la dépendance est essentiellement unilatérale. Le mode dépend dé la substance, mais la substance ne dépend pas du mode. On peut dire que, loin de combler l’abîme qui sépare la créature du créateur, Spinoza l’approfondit encore au risque de rendre inconcevable la puissance créatrice qui le franchit. Mais si Hegel défend victorieusement Spinoza contre l’accusation de panthéisme, peut-être aurait-il plus de peine à se défendre luimême. L’Esprit absolu, dernier terme de sa dialectique, est-il au fond autre chose que l’esprit même de l’homme idéalisé et déifié ? Son Dieu existe-t-il ailleurs que dans la nature et dans l’humanité ? Il est, pourrait-on dire, en tout, excepté en lui-même. Il est plus particulièrement dans la pensée humaine et dans ses régions les plus hautes dans l’art, dans la religion et la philosophie ; mais qu’est-ce que tout cela en dehors de l’homme, qu’est-ce que l’homme luimême en dehors du monde ? C’est dans le monde que Dieu a sa subsistance ; hors de lui ce n’est plus qu’un idéal, c’est-à-dire une pure abstraction. Telle est l’interprétation la plus répandue de la doctrine hégélienne. Ainsi comprise, elle serait en effet un panthéisme, à moins qu’on ne préférât l’appeler un athéisme religieux. A ce compte l’hégélianisme aurait reçu de M. Vacherot sa formule définitive l’opposition du Dieu réel et du Dieu vrai. Que cette interprétation puisse se présenter à l’esprit du lecteur, c’est là un fait incontestable, mais est-il possible de s’y arrêter ? Certes Hegel revient avec insistance sur l’immanence de Dieu dans l’univers et dans l’humanité, il dit expressément que l’absolu est présent dans l’art et dans la religion et que la philosophie le contient sous sa forme propre, c’est-à-dire comme pensée. Mais la philosophie est-elle autre chose que la pensée se pensant elle-même et Aristote ne parle-t-il pas à peu près comme Hegel quand il appelle Dieu le seul vrai philosophe ? Pour le vulgaire la philosophie n’est qu’un savoir subjectif, une imparfaite représentation des choses dans l’esprit, une chimère peutêtre, en tout cas une création humaine. C’est l’homme qui l’a faite et il l’a faite à sa.mesure. Pour Hegel c’est la vérité absolue à laquelle la terre et le ciel sont suspendus. En tant que nous sommes admis à y participer nous nous élevons au-dessus de nous mêmes ; selon l’expression de Spinoza, nous nous pensons nous-mêmes et nous pensons toute chose sous la forme de l’éternité (sub speciewternï).