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64 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

raire paraitra le philosophe qui applique sans hésitation aux plus hauts problèmes de la pensée spéculative une procédure dont la science élémentaire de l’étendue constate elle-même l’insuffisance ! Spinoza retrouve dans ses conclusions ce qu’il a mis dans ses prémisses il démontre ainsi que son système peut être résumé en un petit nombre de formules simples et rien de plus. On peut. en admirer la cohérence et l’harmonie interne, rien ne montre qu’il s’accorde avec la vérité objective, en un mot Spinoza développe admirablement ses conceptions ; il ne les prouve pas.

D’ailleurs dans le choix même de la méthode est impliquée une certaine idée de la science et de son objet ; ce choix tranche ainsi implicitement les questions les plus hautes et les plus délicates. Pour que la déduction mathématique puisse nous révéler la nature divine et la destinée humaine, il faut que Dieu et l’homme, ainsi que le monde matériel, soient des essences analogues h celles dont s’occupe la géométrie. Il faut qu’il n’y ait en eux rien que de nécessaire, rien dont le contraire ne soit intrinsèquement contradictoire. Spinoza est ainsi amené non seulement à nier l’indétermination réelle des événements, en quoi il est d’accord avec Leibniz, Kant et Hegel, mais à nier radicalement toute contingence, par suite toute finalité, toute nécessité-purement morale.

Or la nécessité mathématique ou métaphysique est la nécessité propre aux choses, j’entends a la nature inanimée en tant que telle. Cette nécessité ne laisse aucun rôle au choix, par suite à la pensée et à la.conscience. Celles-ci sont dans le système tout à fait superflues et, qui pis est, ininteltigibtes. La spontanéité de la vie, le simple désir de vivre, te plus vague effort interne du vivant pour persévérer dans l’être constituant déjà une inconcevable dérogation au principe posé. Toute chose est à chaque instant tout ce qu’elle peut être, son être et sa notion s’accordent absolument, il n’y a en elle ni privation, ni excès ; aucune virtualité non développée ; aucune contradiction, par suite aucune contrariété. Comment dès lors concevoir chez un être quelconque une tendance quelle qu’elle soit, une aspiration ou un regret si vague qu’on les suppose ? Comment l’ellipse pourrait-elle vouloir devenircercle ou parabole ? Qu’on s’en rende compte ou non, attribuer aux êtres une tendance ou un effort, si humble soit-il, leur reconnaître avec la vie un minimum de pensée, c’est admettre que ces êtres ne sont pas à chaque instant tout ce qu’ils peuvent et doivent être, que leur essence enveloppe