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86 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

de s’anéantir, est bouleversée de fond en comble ; le roc des habitudes intellectuelles qui la soutenait durant. les périodes de calme relatif et qu’on croyait inébranlable s’émielte alors en un sable mouvant, et elle redevient sensation, émotion pures. Il est donc illusoire de rechercher dans l’expérience interne la source de l’identité logique qu’il a été impossible de découvrir dans la perception extérieure. Les états de conscience qui ne s’extériorisent naturellement pas et la trame continue des sensations sourdes qui constituent le sentiment permanent de la vie (cénesthésie), ’a mémoire organique qui détermine l’appréhension vague d’une identité subjective se prolongeant à travers les événements sont des éléments de conscience différant originairement de l’idée du moi et de la personne au moins autant que les perceptions et la mémoire des images diffèrent de l’idée du monde extérieur et des choses existant en dehors du moi. Dans le champ des phénomènes internes, l’identité logique procède d’une activité extrinsèque et surajoutée, aussi bien que dans celui des objets externes. Ici encore, la pathologie, quand on la consulte, ne prouve pas ce qu’on lui demande de prouver. Les observations des troubles de la mémoire et des métamorphoses du moi portent sur des ensembles trop complexes pour qu’on puisse en déduire, que l’affirmation d’un moi identique est directement fondée sur la mémoire des sensations de la vie organique. De même que les images et les perceptions, les données sensibles internes se réfractent à travers le prisme de l’idéation. Avant de se traduire en paroles, et pour pouvoir l’être, les phénomènes sont préalablement marqués du sceau de l’entendement et se moulent, en quelque sorte, dans la forme logique de l’existence ; aussi n’observe-t-on jamais que des événements dont la nature brute a été recouverte du voile de la pensée et de l’énonciation. Les sujets parlent de leur moi comme ils parlent des objets. Ce sont des idées qu’ils transmettent, partant des synthèses compliquées et artificielles, non des sensations pures, non des états de conscience intacts, simplement réductibles à la. qualité, à l’intensité et à la durée.

Le moi est une idée, de même que le monde extérieur. 11 n’y a pas de moi profond distinct du moi ordinaire, sil’on entend par ces mots tout cm partie des événements qui échappent à la connaissance par notions et concepts. C’est là une locution vicieuse du même genre que « le monde extérieur, hallucination vraie » ; car qui dit moi, dit affirmation d’exjstence ou jugement, et, par suite, exercice de la pensée.