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46 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

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ressemblance. Le sujet a donc conscience d’existences extérieures et jusqu’à un certain point indépendantes de lui, de choses qui durent comme lui et à côté de lui, mais cette identité objective, uniquement fondée sur la perception, qui est individuelle, se voit privée de l’appui que lui apporterait l’accord collectif des consciences. Cellesci communiquent entre elles par intervalles et d’une manière heurtée, par la sympathie passagère des émotions et des appétits, comme on l’observe sur les troupes d’animaux vivant en société. Elles ne communiquent point par leurs perceptions. Nul animal ne sait que son semblable perçoit le même objet que lui, car s’il le perçoit, il ne le perçoit pas en tant qu’objet de perception commune, autrement il faudrait qu’il en eût la notion d’existence entièrement détachée de sa propre sensibilité, et cela est infiniment peu probable. Chez l’homme, au contraire, au monde des réalités perçues se lie indissolublement le monde des réalités conçues ; le sentiment d’un monde extérieur se pénètre de l’idée d’un monde extérieur, et, quand la réflexion ne les dissocie pas, ces deux modes de l’activité psychique semblent n’en faire qu’un. Mais l’analyse montre qu’ils sont distincts, et il suffirait, pour le prouver, de remarquer qu’en somme, un très petit nombre de perceptions, parmi la multitude indéfinie de celles qui remplissent la conscience, arrivent à déterminer l’établissement d’habitudes mentales aboutissant à l’expression parlée et à la notion. Que de sentiments, que d’images nous assiègent pour lesquelles aucun terme ne vient à l’esprit Notre âme et l’univers fourmillent de choses inexprimées et inexprimables, océan mystérieux et changeant, sur lequel les mots, « ces forteresses de la pensée », disait Hamilton, marquent les ilots de terre ferme où notre pensée peut se reposer et d’où elle peut prendre son essor sans risquer d’être engloutie.

Il y a par conséquent une confusion originelle dans ce qu’on appelle classiquement l’idée du monde extérieur. L’idée proprement. dite se constitue à la faveur des idées concrètes, particulières et singulières, dénotées par des noms, idées qui diffèrent tellement des simples images sensibles qu’une tendance innée nous pousse à les transformer peu à peu en idées générales ; témoin le langage des enfants et celui des peuples arriérés. C’est à l’idée seulement que s’applique le jugement en forme qui conclut à la vérité et à l’erreur. Toutefois, comme l’idée est postérieure au sentiment d’objectivité, accompagnateur ordinaire des simples perceptions, et comme elle