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éveillent l’image d’un oiseau à tête ronde ou d’un train en marche.

Or ce second terme, variable-avec les individus, n’entre évidemment pour rien, à moins que chacun des interlocuteurs ne le décrive oralement, dans l’exercice collectif des esprits, dans leur communication mutuelle, d’où procèdent une action et une réflexion communes dont M. X. fait l’objet. Bien plus, sa description serait plutôt une cause de malentendu. Au cours de la conversation, chacun sait, en effet, parfaitement de qui il est question, et tous s’entendent à merveille chacun connaît directement ou indirectement M. X., et ce savoir commun, qui permet l’exercice collectif des pensées individuelles, qui forme le terrain neutre où elles se rencontrent, agissent et réagissent les unes sur les autres, sur lequel l’accord et la discussion sont possibles, les images que nous avons signalées l’entraveraient plutôt qu’elles ne le favoriseraient, par leur indéfinie diversité de qualité et d’origine. L’idée de M. X., d’un être singulier et concret, qui hante tous lés assistants, et qui installe, en quelque sorte, au milieu d’eux, un personnage absent, n’est point cette figure particulière et dotée de qualités individuelles, simulacre dont la réalisation dans la conscience dépend de mille hasards. L’idée ne se réduit pas non plus au vocable seul. Personne, parmi les nominalistes les plus endurcis, ne se risquerait à l’affirmer ; on peut bien soutenir la thèse nominaliste au sujet des idées générales et et abstraites ; mais, lorsqu’il s’agit d’un objet concret et déterminé entre tous, son absurdité se passe de commentaires.

On voit ainsi que, s’il est vrai que j’ai une idée de M. X., une notion singulière, ce n’est pas à l’image de sa personne physique que je la dois. Il y a loin de la perception, réelle ou imaginaire d’un objet, opération essentiellement individuelle, à la connaissance du même objet, sur laquelle tout le monde tombe ou tombera tôt ou tard d’accord. Sans doute, entre toutes ces images, on pourrait trouver autant de ressemblances dans l’ensemble que de différences dans les détails, et il y a peut-être quelque exagération à ne considérer que les différences ; mais il ne faut pas oublier que le nom, lui, n’évoque pas un homme quelconque, mais un homme déterminé. L’objet de pensée est identique, les images ne le sont pas, et cela suffit pour que l’objet, en tant qu’objet, n’ait rien de commun avec les images.

Cette identité de l’objet pensé qui est la condition nécessaire pour que les interlocuteurs se comprennent mutuellement, et grâce à