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— Vous avez l’air si au courant de mes affaires que je suppose que vous voulez dire : jusqu’à ce que le legs de ma tante soit payé ?

— Oui, c’est ce que je veux dire ; Gerty m’en a parlé, — confessa-t-il sans embarras.

Il était trop ému, à cette minute, pour sentir quelque fausse contrainte qui l’empêchât de parler ouvertement.

— Mais Gerty ignore, sans doute, — reprit miss Bart, — que je dois jusqu’au dernier sou de ce legs.

— Grand Dieu ! — s’écria Selden, qui perdit son sang-froid devant la brusquerie de cette annonce.

— Jusqu’au dernier sou, et davantage encore ! — répéta Lily ; — et maintenant vous comprenez peut-être pourquoi j’aime mieux rester avec Mrs. Hatch que profiter de la bonté de Gerty. Je n’ai plus d’argent, excepté mon petit revenu, et il faut que je gagne quelque chose de plus pour subsister.

Selden hésita, un instant ; puis il répondit, sur un ton plus tranquille :

— Mais, avec votre revenu et celui de Gerty, — puisque vous me permettez d’entrer aussi avant dans les détails de la situation, — vous pourriez sûrement vous arranger toutes les deux pour vivre ensemble, de sorte que vous n’auriez pas, vous, à gagner votre vie. Gerty, je le sais, est désireuse de faire un tel arrangement, et en serait fort heureuse…

— Mais moi, je ne le serais pas ! — interrompit miss Bart. Il y a bien des raisons qui font que ce ne serait ni bon pour Gerty ni sage pour moi-même.

Elle s’arrêta un moment, et comme il semblait attendre de plus amples explications, elle ajouta, en redressant vivement la tête :

— Vous me dispenserez peut-être de vous les donner, ces raisons.

— Je n’ai aucun titre à les connaître, — répondit Selden, sans tenir compte du ton qu’elle avait pris, — aucun titre à vous offrir un commentaire ou un avis en outre de celui que je vous ai déjà donné. Et mon droit d’agir comme je le fais est tout simplement le droit universellement reconnu qu’a un homme d’éclairer une femme quand il la voit inconsciemment placée dans une position fausse.