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tout acte de Lily qui rendait plus improbable le renouvellement de semblables déviations le confirmait dans le sentiment de délivrance avec lequel il revenait à l’idée conventionnelle que l’on avait d’elle.

Mais les paroles de Gerty Farish avaient suffi pour lui faire voir combien cette idée, en somme, était peu la sienne propre, et à quel point il lui était impossible de vivre tranquille avec la pensée de Lily Bart. Apprendre qu’elle avait besoin d’aide, — même d’une aide aussi vague que celle qu’il pouvait lui offrir, — c’était recommencer aussitôt à être possédé de cette pensée ; et, à peine dans la rue, il était suffisamment convaincu de l’urgence que présentait la requête de sa cousine pour diriger immédiatement ses pas vers l’hôtel de Lily.

Là son zèle se heurta à la nouvelle inattendue que miss Bart avait déménagé ; mais, comme il insistait, l’employé se rappela qu’elle avait laissé une adresse et il se mit à la rechercher dans ses livres.

Il était certainement étrange qu’elle eût fait cela sans avertir Gerty Farish de sa décision ; et Selden éprouva un vague malaise tandis qu’on recherchait l’adresse. La recherche dura assez longtemps pour que le malaise se changeât en appréhension ; et lorsque enfin on lui tendît un bout de papier où il lut ces mots : « Aux soins de Mrs. Norma Hatch, Hôtel Emporium », l’appréhension s’acheva en regard d’incrédulité, puis en geste de dégoût : il déchira le papier en deux, et rentra vivement chez lui.

XXIV


Lorsque Lily se réveilla, le lendemain de son arrivée à l’Hôtel Emporium, sa première sensation fut de satisfaction toute physique. La force du contraste rendait plus vive la jouissance de reposer une fois encore dans un lit à oreillers moelleux et de regarder à travers une chambre spacieuse et inondée de soleil le petit déjeuner servi sur une table, de manière engageante, auprès du feu. L’analyse et l’examen de conscience viendraient peut-être plus tard ; mais, pour le moment, elle n’était pas même gênée par l’exubérance des tentures ou par