Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/736

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rencontra le regard perplexe de Gerty et reprit avec plus de douceur :

— Mais, bien que vous exagériez énormément l’importance de ce que je pourrais faire pour miss Bart, vous ne sauriez exagérer mon empressement à le faire, si vous me le demandez.

Il posa la main, un moment, sur celle de Gerty : à ce rare contact, par un courant soudain, se fit un de ces échanges d’intelligence qui remplissent les réservoirs cachés de l’affection. Gerty eut le sentiment qu’il mesurait ce qu’il lui en coûtait, à elle, de faire cette requête, aussi nettement qu’elle lisait la signification de sa réponse ; et la notion de tout ce qui subitement s’était éclairci entre eux lui permit de trouver plus facilement ces paroles :

— Je vous le demande, alors ; je vous le demande, parce qu’elle m’a dit un jour que vous aviez été une aide pour elle, et parce qu’elle a besoin d’aide maintenant plus que jamais. Vous savez à quel point elle a toujours été dépendante du bien-être et du luxe ; combien elle a toujours haï ce qui était pauvre, laid et inconfortable. Elle ne peut pas s’en empêcher : elle a été élevée avec ces idées-là, elle n’a jamais pu s’en débarrasser. Mais aujourd’hui toutes les choses auxquelles elle tenait lui ont été enlevées, et les gens qui lui avaient appris à y tenir l’ont abandonnée aussi : et il me semble que si quelqu’un pouvait lui tendre la main et lui montrer l’autre côté de l’existence… lui montrer combien il reste encore de choses dans la vie et en elle-même…

Gerty s’arrêta, confondue par le son de sa propre éloquence, et gênée par la difficulté de donner une expression précise au vague désir de relèvement qu’elle éprouvait pour son amie.

— Moi, je ne peux rien pour elle : elle m’échappe, — continua-t-elle. — Je crois qu’elle a peur de m’être à charge. La dernière fois qu’elle est venue, il y a quinze jours, elle semblait affreusement tourmentée au sujet de son avenir : elle m’a dit que Carry Fisher essayait de lui trouver quelque chose à faire… Peu après, elle m’a écrit qu’elle avait accepté un emploi de secrétaire particulier, et que je n’avais pas à m’inquiéter, car tout était pour le mieux, et qu’elle viendrait me voir et tout me raconter aussitôt qu’elle en aurait le temps ; mais elle n’est jamais venue, et je ne veux pas y aller la première,