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Et, sans doute, à l’instant funèbre, dans la chambre
Où tu te refusais au suprême sommeil.
Près de ton lit, pour te voiler la mort farouche,
La gloire t’a baisé longuement sur la bouche,
En te chantant un lied merveilleux et berceur.

Ah ! tu peux bien dormir et goûter la douceur
Que donne aux cœurs troublés le calme de la tombe :
Tes vers mélodieux, tristes, purs et touchants,
Paisibles comme un clair de lune sur les champs,
Fins et lustrés autant qu’une aile de colombe,
Parfois pareils au cri d’un homme qui succombe
Sous les coups d’assassins masqués, et tels parfois
Que la vaste rumeur des blés ou que la voix
Du flot contre la grève et du vent dans les bois ;
Tantôt brillants, aigus, trempés comme une lame,
Tantôt frais et câlins comme des bras de femme,
Tes vers demeureront au nombre des beaux vers
Dont tous les cœurs subtils, les cœurs sombres et fiers
Voudront approfondir, précieuse torture,
Et dorloter, après, leur secrète blessure.
Durant l’écoulement des âges, les amants
Mêleront tes serments d’amour à leurs serments,
Tes pleurs à leurs sanglots, les fièvres à leurs fièvres,
Et, quand ils uniront leurs souffles, sur leurs lèvres
Ils sentiront tes vers se fondre comme un fruit…

Mais peut-être as-tu craint, en expirant, la nuit
Où l’œuvre lentement s’enfonce et sombre toute ?
Ami, si tu connus, à l’heure de mourir,
Les sueurs et le fiel empoisonné du doute,
Du fond de ton caveau de marbre humide, écoute :

Je suis vivant, je vois le printemps refleurir,
Je goûte l’air sucré, je bois le vent ; les roses
Me jettent leur odeur enivrante ; je puis
Reposer mes regards sur des yeux alanguis,
Baiser violemment des lèvres entrecloses,
Caresser d’une main savante le dessin