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dernier dimanche passé chez ses amis ; et, avec l’aide de Gerty Farish, elle avait découvert un petit hôtel bien fréquenté où elle pouvait s’installer pour l’hiver. L’hôtel étant situé sur les confins d’un quartier élégant, le prix des quelques pieds carrés qu’elle allait occuper dépassait considérablement ses moyens ; mais elle justifiait son dégoût des quartiers plus pauvres par cet argument que, dans cette particulière conjoncture, il était de la plus haute importance de garder les apparences de la prospérité. En réalité, il lui était impossible, tant qu’elle avait de l’argent devant elle pour huit jours, de tomber à un mode d’existence pareil à celui de Gerty Farish. Elle n’avait jamais été si près de l’insolvabilité ; mais elle pouvait du moins venir à bout de payer la note hebdomadaire de l’hôtel, et, comme elle avait réglé les plus lourdes de ses anciennes dettes avec l’argent qu’elle avait reçu de Trenor, elle avait encore une marge de crédit respectable. La situation néanmoins n’était pas assez agréable pour l’endormir au point de lui faire perdre conscience de son insécurité. Son appartement, avec cette vue resserrée sur une perspective blafarde de murs de briques et d’appareils de sauvetage pour le cas d’incendie, ses repas solitaires dans le sombre restaurant avec son plafond surchargé et son obsédante odeur de café, — tous ces désagréments matériels, qu’il lui fallait bien pourtant considérer comme autant de privilèges auxquels elle devrait bientôt renoncer, lui maintenaient constamment devant les yeux les désavantages de sa position ; et son esprit en revenait avec d’autant plus d’insistance aux conseils de Mrs. Fisher. De quelque façon qu’elle tournât la question, elle savait que la conclusion était toujours la même : il fallait qu’elle essayât d’épouser Rosedale. Et elle fut fortifiée dans cette conviction par une visite inattendue de George Dorset.

Elle le trouva, le premier dimanche après son retour en ville, faisant les cent pas dans son petit salon, pour le plus grand péril des quelques bibelots à l’aide desquels elle s’était efforcée de déguiser l’exubérance de la peluche ; mais la vue de Lily sembla le calmer, et il dit avec douceur qu’il n’était pas venu pour l’ennuyer, — qu’il demandait seulement la permission de s’asseoir une demi-heure et de causer de ce qu’elle voudrait. En réalité, elle le savait, il n’y avait pour