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sant près de Lily, largua son amarre, et vint s’échouer à côté de la jeune fille.

— La perdre ? — répondit-elle en écho à la question de Lily, et avec un regard indifférent vers le dos fuyant de Mrs. Bry. — C’est possible… cela n’a pas d’importance : je l’ai déjà perdue.

Et, comme Lily se récriait, elle ajouta :

— Nous avons eu une scène terrible, ce matin. Vous savez, bien entendu, que la duchesse l’a plaquée, pour le dîner, hier au soir, et elle s’imagine que c’est ma faute… mon manque d’organisation… Le pis est que le message — un simple mot par téléphone — est arrivé si tard qu’il a fallu payer le dîner ; et Bécassin avait fait monter l’addition : on lui avait tellement corné aux oreilles que la duchesse devait venir ! (Mrs. Fisher eut un léger rire, à se remémorer la chose.) Payer pour ce qu’elle n’obtient pas, cela enrage tellement Louisa !… Je ne peux pas lui faire comprendre que c’est le premier pas vers la joie d’obtenir ce pourquoi l’on n’a pas payé… Et, comme j’étais la première chose à briser qu’elle eût sous la main, elle m’a réduite en miettes, la chère femme !

Lily murmura quelques paroles de commisération. Les mouvements de sympathie lui étaient naturels, et ce fut par instinct qu’elle offrit son aide à Mrs. Fisher :

— S’il y a quelque chose que je puisse faire… s’il s’agit seulement de « rencontrer » la duchesse !… Je l’ai entendue dire qu’elle trouvait M. Bry amusant…

Mais Mrs. Fisher l’interrompit d’un geste décisif :

— Ma chère, j’ai mon orgueil : l’orgueil de mon métier. Je n’ai pas pu réussir avec la duchesse, et je ne peux pas me parer de vos plumes aux yeux de Louisa Bry. D’ailleurs, j’ai sauté le pas : je pars pour Paris, ce soir, avec les Sam Gormer. Eux sont encore dans la phase élémentaire : un prince italien est pour eux beaucoup plus qu’un prince, et ils sont toujours sur le point de croire qu’un courrier en est un. Leur épargner cette erreur, telle est ma présente mission. (Elle se mit à rire de nouveau.) Mais, avant de partir, je veux dicter mes dernières volontés et faire mon testament : je désire vous léguer les Bry.

— À moi ? — répliqua miss Bart, amusée, elle aussi. —