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ciait dans son esprit avec la disparition graduelle du sourire sur les lèvres de Mrs. Peniston. La crainte d’une scène donnait à cette dame une implacabilité que la plus grande force de caractère n’aurait pu produire, car elle était indépendante de toute considération de bien ou de mal ; et Lily, sachant cela, se risquait rarement à la braver. Elle n’avait jamais eu moins envie de faire une tentative qu’en ce moment, mais elle avait cherché vainement un autre moyen d’échapper à une situation intolérable.

Mrs. Peniston l’examinait d’un œil critique :

— Vous avez mauvaise mine, Lily : cette agitation perpétuelle commence à vous marquer, — dit-elle.

Miss Bart crut voir un joint :

— Je ne crois pas que ce soit cela, tante Julia ; j’ai eu des soucis, — répondit-elle.

— Ah ! — dit Mrs. Peniston, fermant les lèvres avec le bruit d’un porte-monnaie que l’on clôt devant un mendiant.

— Je regrette d’avoir à vous ennuyer de cela, — continua Lily, — mais je crois vraiment que mon indisposition d’hier soir provient en partie de mes inquiétudes.

— J’aurais pensé que la cuisine de Carry Fisher suffisait à l’expliquer. Elle a une cuisinière qui était chez Maria Melson en 1891… au printemps de cette année où nous sommes allées à Aix… je me souviens d’y avoir dîné deux jours avant de nous embarquer, et j’ai ressenti la certitude que les cuivres n’avaient pas été récurés.

— Je ne crois pas avoir mangé grand’chose : je ne peux ni manger ni dormir.

Lily s’arrêta, une seconde, puis elle reprit brusquement :

— Le fait est, tante Julia, que je dois de l’argent.

Le visage de Mrs. Peniston s’assombrit visiblement, mais n’exprima pas l’étonnement auquel sa nièce s’attendait. Comme elle gardait le silence, Lily dut poursuivre :

— J’ai été sotte…

— Nul doute que vous ne l’ayez été : très sotte même ! — interrompit Mrs. Peniston. — J’avoue ne pas comprendre comment quelqu’un avec votre revenu, sans frais d’aucune sorte… et je ne parle pas des jolis cadeaux que je vous ai toujours faits…