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où ils passèrent par une porte vitrée, au bout d’une longue enfilade de pièces, et se trouvèrent tout à coup dans la paix embaumée d’un jardin. Le gravier criait sous leurs pieds, et autour d’eux régnait la transparente obscurité d’une nuit d’été. Des lumières appendues formaient des cavernes d’émeraude dans les profondeurs du feuillage et blanchissaient le jet d’une fontaine qui tombait parmi des nénuphars. Ce lieu magique était désert : il n’y avait d’autre bruit que le fracas de l’eau sur les feuilles épaisses des nénuphars et une onde lointaine de musique qui semblait souffler par-dessus un lac endormi.

Selden et Lily demeuraient immobiles, acceptant l’irréalité de la scène comme unie à leur propre sensation de rêve. Ils n’eussent pas été surpris qu’une brise d’été vint leur caresser le visage, ou de voir les lumières apparues à travers les branches se doubler à la voûte d’un ciel étoilé. L’étrange solitude autour d’eux n’était pas plus étrange que la douceur de s’y trouver ensemble.

Enfin Lily retira sa main, et fit un pas en arrière : la sveltesse de sa robe blanche se profila contre le noir des massifs. Selden la suivit, et, toujours sans parler, ils s’assirent sur un banc, près de la fontaine.

Tout à coup elle leva les yeux, avec la gravité suppliante d’un enfant :

— Vous ne me parlez jamais… Vous pensez à moi avec dureté ! murmura-t-elle.

— Je pense à vous, en tout cas, Dieu le sait ! dit-il.

— Alors pourquoi ne nous voyons-nous jamais ? Pourquoi ne pouvons-nous être amis ?… Vous m’aviez promis, une fois, de m’aider, — continua-t-elle sur le même ton, comme si les mots lui échappaient malgré elle.

— Je ne peux vous aider qu’en vous aimant. — dit Selden à voix basse.

Elle ne répondit pas, mais son visage se tourna vers lui avec le mouvement léger d’une fleur. Il approcha le sien, lentement, et leurs lèvres se touchèrent.

Elle recula et se leva. Selden se leva aussi et ils se tinrent en face l’un de l’autre. Tout à coup elle lui prit la main et l’appuya, un instant, contre sa joue.