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à Lily pour fondre les éléments discordants ; et miss Bart, présumant que ce service était attendu d’elle, s’y jeta aussitôt avec son zèle ordinaire. Mais dès l’abord elle sentit une subtile résistance qui s’opposait à ses efforts. Si les manières de Mrs. Trenor à son égard n’avaient pas changé, il y avait certainement quelque froideur dans celles des autres dames. Une allusion caustique, en passant, à « vos amis les Wellington Bry », ou « au petit juif qui a acheté la maison Greiner… quelqu’un nous a dit que vous le connaissiez, miss Bart ! » — montra bien à Lily qu’elle était en défaveur auprès de cette partie de la société qui, tout en contribuant le moins à son amusement, s’est arrogé le droit de décider quelle forme cet amusement doit prendre. Ce n’était qu’une indication, et légère : l’année d’avant, Lily en aurait souri, se fiant au charme de sa personne pour dissiper tous les préjugés qu’on pouvait avoir contre elle. Mais elle était devenue plus sensible à la critique et moins sûre de son talent à la désarmer. Elle savait, au surplus, que si, ces dames, à Bellomont, se permettaient de critiquer ses amis ouvertement, c’était la preuve qu’elles ne craignaient pas de la critiquer, elle, derrière son dos. La crainte nerveuse que quelque chose dans les façons de Trenor ne parût justifier leur désapprobation lui fit multiplier les prétextes pour l’éviter, et, en quittant Bellomont, elle avait conscience d’avoir manqué tous les buts qu’elle s’était proposés en y allant.

Elle rentra en ville pour retrouver des préoccupations qui, momentanément, eurent l’heureux effet de bannir les pensées importunes. Les Welly Bry, après bien des débats et d’anxieuses délibérations avec leurs nouveaux amis, s’étaient arrêtés à la solution hardie de donner une grande réception. Attaquer la société collectivement, quand les moyens d’approche se réduisent à quelques personnes de connaissance, équivaut à s’avancer en pays inconnu avec un nombre insuffisant d’éclaireurs ; mais une tactique aussi téméraire a mené parfois à de brillantes victoires et les Bry étaient déterminés à tenter la fortune. Mrs. Fisher, à qui ils avaient confié la conduite de l’affaire, avait décrété que des tableaux vivants et de la musique coûteuse étaient les deux appâts les plus susceptibles d’attirer la proie désirée, et, après des négociations prolongées,