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restait au fond de sa pensée un solide dépôt de ressentiment contre sa nièce, d’autant plus dense que nulle explication ni discussion ne devait le clarifier. C’était horrible à une jeune fille de permettre qu’on parlât d’elle ; si peu fondées que fussent les accusations, elle était à blâmer d’y avoir donné lieu. Mrs. Peniston avait la sensation qu’il y avait une maladie contagieuse dans sa maison, et qu’elle était condamnée à demeurer assise, toute frissonnante, au milieu de ses meubles contaminés.

XII


Miss Bart, à vrai dire, s’était engagée dans une voie tortueuse, et aucun de ceux qui la critiquaient n’en était plus affecté qu’elle-même ; mais elle se sentait fatalement entraînée d’un mauvais tournant à un autre, et elle n’apercevait jamais le droit chemin que lorsqu’il était trop tard pour le suivre.

Lily, qui se considérait comme au-dessus des préjugés étroits, n’avait pas imaginé que le fait de laisser Gus Trenor lui gagner un peu d’argent pût jamais déranger l’équilibre de sa sérénité. Et le fait en lui-même semblait encore assez inoffensif ; mais c’était une source féconde de complications pernicieuses. Quand elle eut épuisé le plaisir de dépenser l’argent, ces complications devinrent plus pressantes, et Lily, dont l’esprit se montrait capable d’une logique sévère dès qu’il s’agissait de faire remonter à autrui les causes de sa malchance, Lily se justifiait elle-même en se disant que tous ses ennuis étaient dus à l’inimitié de Bertha Dorset. À cette inimitié pourtant avait succédé, du moins en apparence, une reprise d’amitié entre les deux femmes. La visite de Lily chez les Dorset leur avait fait découvrir à toutes deux qu’elles pouvaient se rendre des services réciproques ; et l’instinct civilisé goûte un plaisir plus subtil à profiter d’un adversaire qu’à le confondre. Mrs. Dorset, en effet, s’était lancée dans un nouvel essai sentimental, dont Ned Silverton, ci-devant propriété de Mrs. Fisher, était la jeune victime ; et, en de pareils moments, — Judy Trenor en avait fait une fois la remarque, — elle éprouvait un besoin tout particulier de distraire l’attention de