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sous la vague ou bien abordaient triomphalement par delà tous les écueils envieux ; et elle appliquait volontiers une remarquable intuition rétrospective au destin final de ces gens-là, si bien que, leur sort une fois rempli, elle pouvait presque toujours dire à Grace Stepney — la confidente de ses prophéties — qu’elle avait prévu exactement tout ce qui devait arriver.

La saison actuelle, Mrs. Peniston l’aurait défini celle où chacun « se sentait pauvre », excepté les Welly Bry et M. Simon Rosedale. L’automne avait été mauvais dans Wall Street : il y avait eu forte baisse, conformément à cette loi bizarre d’après laquelle des actions de chemin de fer et des ballots de coton paraissent plus sensibles à telle ou telle attribution du pouvoir exécutif que nombre de citoyens estimables, exercés à tous les avantages du self-government. Même des fortunes considérées comme indépendantes du cours de la Bourse en trahirent une secrète dépendance, ou souffrirent d’une affection analogue, par sympathie ; les gens élégants boudèrent dans leurs maisons de campagne, ou vinrent en ville incognito ; les grandes réceptions tombèrent en défaveur, et les petits dîners sans cérémonie, entre intimes, devinrent à la mode.

Mais la société, qui s’était amusée pour un temps, à jouer les Cendrillon, se lassa bientôt de ce rôle trop domestique, et fit bon accueil à la fée marraine sous la forme de tout magicien assez puissant pour changer de nouveau la citrouille en carrosse doré. Le simple fait de s’enrichir à une époque où les fonds de la plupart sont bas est suffisant pour attirer une attention jalouse ; et, selon les bruits de Wall Street, Welly Bry et Rosedale avaient découvert le secret d’accomplir ce miracle.

On disait, en particulier, que Rosedale avait doublé sa fortune, et l’on racontait qu’il allait acheter la maison à peine finie d’une des victimes du krach, qui, en l’espace de douze mois, avait gagné douze millions, construit un hôtel dans la Cinquième Avenue, formé une galerie de vieux maîtres, reçu tout New-York, — et qu’on avait fait sortir clandestinement du pays entre une infirmière bien stylée et un médecin, tandis que ses créanciers montaient la garde devant les vieux maîtres, et que ses hôtes s’expliquaient l’un à l’autre qu’ils n’avaient dîné chez lui que pour voir les tableaux… M. Rosedale prétendait à une carrière moins météorique. Il savait qu’il lui faudrait