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juger superficiellement. Mais la médiocrité est une qualité qui revêt les déguisements les plus divers ; et Lily découvrit bientôt qu’elle existait à l’état latent dans la coûteuse routine de la vie de sa tante, comme dans le régime d’expédients d’une pension européenne.

Mrs. Peniston était un de ces personnages épisodiques qui servent en quelque sorte à rembourrer l’étoffe de la vie. Il était impossible de se la figurer comme ayant jamais été elle-même un foyer d’activité. Le fait le plus saillant qui la concernait était que sa grand’mère eût été une Van Alstyne. Cette alliance avec la race bien nourrie et industrieuse de l’ancienne New-York se révélait dans la propreté glaciale du salon de Mrs. Peniston et dans l’excellence de sa cuisine. Elle appartenait à cette classe de vieux New-Yorkais qui ont toujours vécu largement, dépensé beaucoup pour leur toilette, et n’ont guère fait autre chose ; à ces obligations héréditaires Mrs. Peniston se conformait fidèlement. Elle avait toujours tenu dans la vie l’emploi de spectatrice, et son esprit ressemblait à un de ces petits miroirs que ses ancêtres hollandais avaient coutume de fixer à leurs fenêtres, afin que des profondeurs d’une impénétrable retraite ils pussent voir se qui se passait dans la rue.

Mrs. Peniston avait une propriété dans la province de New-Jersey ; mais elle n’y avait jamais habité depuis la mort de son mari, — événement déjà lointain qui semblait subsister dans sa mémoire surtout comme point de repère pour les souvenirs personnels qui formaient le fond de sa conversation. Elle était de ces femmes qui se rappellent les dates avec intensité, et elle pouvait sans un moment d’hésitation vous dire si les rideaux du salon avaient été changés avant ou après la dernière maladie de M. Peniston.

Mrs. Peniston trouvait la campagne triste et les arbres humides, et elle nourrissait une peur vague de rencontrer un taureau. Pour se garder contre ces contingences, elle fréquentait les villes d’eaux les plus visitées ; elle s’y installait d’une manière toute impersonnelle, dans une maison louée, et contemplait la vie à travers les stores nattés de sa véranda. Aux soins d’une semblable tutrice, Lily comprit bien vite qu’elle n’aurait que les avantages matériels d’une bonne