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ment sa fille, il faudrait qu’il eût déjà possédé la mère en octobre 1829. Mais les lettres sont là : relisez les lettres désespérées de décembre 1830, et dites si c’est là le langage d’un amant heureux, père secret du dernier enfant de la maison.

Ce n’est pas le seul démenti qu’infligent les lettres à cette même poésie : À la petite Ad

Elle débute ainsi :

Enfant délicieux, que sa mère m’envoie.

Et, plus loin :

Enfant qu’avec mystère
Il me faut apporter comme un fruit adultère.

La poésie est datée : 22 août 1832. Reportez-vous maintenant à la lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo datée de juillet 1882, un mois auparavant ; vous y lirez :

« Je vous remercie bien de m’avoir envoyé, outre l’album, ma jolie petite filleule. »

Ainsi, ce n’était pas sa mère qui envoyait l’enfant à Sainte-Beuve, c’était son père, — le vrai. — Et il est probable que ce fut cette visite de l’enfant qui inspira à Sainte-Beuve la pièce À la petite Ad…

Est-il possible d’être pris plus cruellement en flagrant délit, la main dans le sac du mensonge ?

Les exagérations énormes démontrent avec la même évidence la fausseté du Livre d’amour. On a pu voir quel amour tendre et profond Adèle portait à ses enfants, à sa mère, quel dévouement à son mari. Erreur ! ce qui, dans ce cœur, efface tout, domine tout, ce doit être Sainte-Beuve ! Il veut bien pourtant dire à Adèle qu’il lui souffrira ses affections du passé,

… pourvu qu’entraînant et torrents et ruisseaux,
Notre amour soit le fleuve unique aux larges eaux ;
Oui, si tu m’aimes plus que l’ombre de l’amie,
Que ta mère, martyre au cercueil endormie,
Plus qu’un premier enfant, ........
Que l’époux dans sa gloire, et ta fille, et ton Dieu ;
Oui, si jusqu’à la mort ..........
Tu me redis, le front contre mon sein qui bout :
« Ami, j’ai tout senti, mais, toi, tu passes tout ! »

Ne passe-t-il pas un peu, lui, la vraisemblance ?

De même qu’autrefois, dans Joseph Delorme, il s’adressait à des maîtresses imaginaires, Sainte-Beuve, dans le Livre d’amour pour-