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Tout à coup, il fit face à la pente de la montagne que le matin avait descendue sous ses yeux. Avec une extrême prudence, il commença l’ascension.

Au coucher du soleil, il ne montait plus : il avait atteint les hauteurs, très loin de la vallée des Aveugles. Ses vêtements pendaient en loques, ses membres étaient ensanglantés et meurtris, mais il se prélassait sur le rocher et un sourire errait sur son visage.

De l’endroit où il était couché, le vallon semblait perdu au fond d’un trou, un mille au moins plus bas. Déjà les brumes et l’ombre l’obscurcissaient, bien que les sommets autour de lui fussent encore embrasés de lumière et de flammes.

Les sommets de la montagne étaient embrasés de lumière et de flammes, et les moindres recoins dans les rochers à portée de sa main étaient baignés d’une limpide beauté ; une veine verte transparaissait sous la roche grise ; des cristaux scintillaient çà et là, des teintes orange revêtaient un lichen exigu, minusculement superbe. Des ténèbres profondes et mystérieuses s’écroulaient dans la gorge : des bleus qui s’assombrissaient jusqu’au pourpre, et des pourpres qui se transformaient en opacités lumineuses. Et, au-dessus de sa tête, s’étendait la libre immensité du ciel.


Il cessa d’admirer ce spectacle et s’allongea, tranquille et souriant, comme si ce bonheur lui eût suffi, de s’être échappé du Pays des Aveugles.

Les lueurs du couchant s’éteignirent. Et ce fut la nuit. Et Nuñez reposait sous les étoiles froides et claires.

H. G. WELLS
(Traduit de l’anglais par Henry D. Davray et B. Kozakiewicz.)