Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/379

Cette page a été validée par deux contributeurs.

coup pour coup et, pour la première fois, la vue lui fut avantageuse, même dans la demi-obscurité. Après ce combat, personne ne s’aventura à lever la main sur lui ; mais tous s’obstinaient à déclarer ce mariage impossible.

Le vieux Yacob aimait tendrement sa dernière fille et il était navré qu’elle vînt si souvent pleurer sur son épaule :

— Tu comprends, ma chérie, c’est un idiot… Il a des hallucinations… Il ne peut rien faire de bien.

— Je le sais, — se lamentait Medina-Saroté. — Mais il n’est déjà plus comme il était au début. Son état s’améliore ; et il est fort, mon père chéri, et il est bon… plus fort et meilleur qu’aucun d’entre nous. Et il m’aime, père !… et je l’aime !

Le pauvre père était grandement affligé de la désolation de sa fille, et son attachement à Nuñez ajoutait à son chagrin. Une fois, il se rendit avec les autres Anciens dans la salle sans fenêtres où siégeait le conseil, et, tout en prenant part à l’entretien, il trouva moyen, au moment opportun, de placer un mot au sujet de Nuñez :

— Son état s’améliore. Très vraisemblablement, il sera un jour aussi sain que nous-mêmes…

Peu de temps après, un des Anciens, qui savait penser profondément, eut une idée. Parmi ce peuple, c’était lui le grand docteur, le guérisseur, et il avait un esprit inventif et philosophique : l’idée de délivrer Nuñez de ses particularités bizarres devait le séduire. À une séance à laquelle assistait Yacob, il amena la conversation sur Nuñez.

— J’ai examiné Nuñez, — fit-il, — et son cas me semble plus clair. Je pense qu’on pourrait probablement le guérir.

— C’est ce que j’ai toujours espéré ! — s’écria le vieux Yacob.

— Son cerveau est atteint, — assura le docteur aveugle.

Les Anciens eurent un murmure approbateur.

— Or, de quel mal est-il atteint ?

— Hé ? — fit Yacob.

— Voici, — poursuivit le docteur, répondant à sa propre