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LA REVUE DE PARIS

dire à quelqu’un qui me rapportait, sans malveillance d’ailleurs, de prétendues paroles froides de vous sur moi. J’ai dit que cela n’était pas, que vous saviez bien que vous n’aviez pas d’ami plus éprouvé que moi, ni moi que vous, que notre amitié était de celles qui résistent à l’absence et aux bavardages, et que j’étais à vous, comme toujours, du fond du cœur. J’ai dit cela, et puis je me mets à vous l’écrire, afin qu’il ne s’introduise rien à notre insu entre nous, et qu’il ne se forme pas la moindre pellicule entre votre cœur et le mien.

» À bientôt. Je vous serre la main. J’ai toujours bien mal aux yeux et je travaille sans relâche.

» Victor.»


À cette adjuration cordiale Sainte-Beuve répond de la manière la plus inattendue, par une lettre sèche et dure et presque insolente, qui, brusquement, brutalement, veut rompre, et rompt, tous les liens dont il s’était dit à jamais attaché. Il nous manque les premières pages de cette réponse cruelle, nous n’en avons que la conclusion mais on verra par la réplique de Victor Hugo que Sainte-Beuve devait s’y appesantir sur des dissidences littéraires, sur de petits faits sans importance démesurément grossis ; il s’irritait contre cet ami qui avait dénoncé à Victor Hugo sa malveillance et il ne s’apercevait pas que la suite de sa lettre allait prouver que l’ami n’avait dit que la vérité : – qu’aurait-on pu rapporter d’aussi blessant que l’allusion à cette « atmosphère plus ou moins pure » qui influerait désormais sur Victor Hugo ?


Ce mercredi [21 août 1833].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les événements qui sont survenus et qui devaient faire évanouir le reste des noirs nuages, votre silence absolu sur le fond même et la réparation de notre amitié, m’ont de plus en plus confirmé dans cette idée, contre laquelle je luttais, que c’était une chose finie pour cette vie, que nous resterions amis comme tant d’autres, comme ceux dont vous avez dit :

Et puis qu’importe ? Amis, ennemis, tout s’écoule !

Cela étant (chose triste !) il n’y aurait à observer que les égards et les apparences décentes avec une bienveillance lointaine. Par malheur, la littérature, infestée de ses pirates, est là entre nous, et mille sottes nouvelles ont chance d’échouer de mes Açores à vos Amériques, et réciproquement.