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conviction littéraire et qui ne crois plus qu’à un certain bon sens empirique et instinct en cette matière, je me compare souvent, dans les rangs divers et mêlés où je passe, et avec les nuances que ma condition de critique me force de réfléchir, à un banni qui, hors de l’enceinte éternelle, vit tantôt chez les Volsques, et tantôt chez les Osques, et auquel l’ami du dedans doit pardonner beaucoup au milieu de ces contacts forcés, de ces courses errantes et presque infidèles qu’il ne dirige pas.

Tout à vous d’amitié.
Sainte-Beuve

Si vous aviez quelque jour de vacance, indiquez-moi un rendez-vous où je vous trouverais vers cinq heures ; nous dînerions ensemble.

Victor Hugo répond, quelques jours après. Il ne veut toujours pas comprendre le reproche muet de Sainte-Beuve :

« 12 juin [1833].

» L’amitié que j’ai pour vous, vous le savez, mon cher Sainte-Beuve, est en dehors de toutes les questions littéraires ou politiques du monde. Sans doute, ce serait un grand bonheur pour moi de savoir, sur tous ces problèmes de l’art dont la solution occupe ma vie, votre pensée en harmonie, avec la mienne, comme autrefois. Mais qu’y faire ? Nous flottons tous plus ou moins. Ce qui ne flotte et ne varie pas en moi, c’est mon admiration pour ce que vous faites et ma tendresse pour ce que vous êtes.

» Vous voulez que nous dînions ensemble. Ce sera une vive joie pour moi et je vous dirai mille choses. Je vous écrirai le premier jour que j’aurai de libre.

» Je vous serre la main. À bientôt. »

Deux mois s’écoulent. Sainte-Beuve semble à bout de patience. Il s’exprime maintenant avec des tiers sur le compte de Victor Hugo en termes qui sont loin d’être ceux d’un ami. Ces méchants propos sont rapportés à Victor Hugo, qui achève dans le moment le dernier acte de Marie Tudor. Il s’interrompt pour écrire à Sainte-Beuve :


« 20 août [1833].

» J’irai vous voir un de ces jours, mon cher Sainte-Beuve, j’ai besoin de vous parler, j’ai besoin de vous dire ce que je viens de