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de son exil prolongé. Il ne se compare qu’à un banni littéraire, mais il manifeste quelque tendance à s’éloigner lui-même, sinon encore de l’ami, au moins du chef romantique, et s’accuse, en phrases quelque peu subtiles, de devenir, à la longue, « presque infidèle » :


Ce jeudi [6 juin 1833].
Mon cher ami,

J’ai répondu un mot à Lafon, beau-frère de M. Leclerc, qui avait joint à votre recommandation la sienne, ayant été mon camarade de collège : j’ai déjà sept articles promis pour différents livres, et probablement je ne les ferai pas tous de plus mon roman[1] ; il m’est donc impossible de prendre de nouveaux engagements. Redites-le à M. Leclerc, si vous le voyez. — J’ai fait part à Buloz de ce que vous me dites à son sujet : s’il comprend son intérêt et si une gauche vergogne ne le retient pas, il ira chez vous et au plus tôt : je le lui ai bien conseillé.

J’ai lu dans l’Europe votre article sur le style c’est prodigieux comme style et par tout ce qui touche le langage et le caractère de nos grands écrivains que vous peignez aux yeux par quelques traits si beaux et si choisis. C’est une merveille qu’une telle prose, et vous en jouez comme avec l’archet de Paganini. Il y a une ou deux pensées qui ne m’ont pas convaincu, celle sur le drame et son rôle en ce temps : vous savez que c’est là un de mes aveuglements et de mes doutes. Et une autre qui m’a paru trop sévère, quoique si bien dite, sur la politique et les rapports de l’art avec elle. — À propos de politique, j’avais voulu vous écrire dans ces derniers temps pour vous dire combien j’avais regretté un mot qui avait passé dans un feuilleton du National, et que tout le monde, à ce journal, avait trouvé injuste. J’espère que vous aurez ignoré cela. — Où était-il ce temps où nous allions tous ensemble en petit bataillon sacré, vous en tête, tous frères et unanimes, à ce qu’il semblait ! Comme chacun a été jeté depuis hors de la ligne et mêlé à d’autres rangs, excepté vous qui avez suivi inflexiblement votre dessein ! Moi, mon ami, qui ne puis me faire à moi seul une

  1. Volupté