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LA REVUE DE PARIS

réchal[1] le trouva dans une mauvaise chambre, au quatrième étage, ayant pour tout meuble un mauvais grabat, une mauvaise table et quelques chaises dépareillées. Il avait cependant un domestique, qui venait le matin lui cirer ses bottes ou ses souliers, et ranger ou nettoyer les objets que son maître lui permettait de toucher, car il avait de très grandes singularités. Le reste du jour, son domestique, beaucoup mieux habillé que lui, faisait le Monsieur en ville, où il avait un logement. Lorsque le maréchal Davout lui eut fait la commission du Premier Consul, comme il le pressait de répondre, M. de Valfort le prit par le bras : « Mon ami, lui dit-il, en lui montrant le soleil qui dardait en plein par la fenêtre sans rideaux, vous voyez bien ce soleil, personne ne me le donne et ne peut me l’ôter ».

Le maréchal lui fit remarquer que cette singularité cynique avait pu faire fortune à Athènes, où tout le monde la connaissait, mais qu’a Paris, où elle restait inconnue, elle ne menait à rien, pas même de se faire moquer de soi. Il lui représenta ensuite qu’il n’était pas de la dignité du chef du gouvernement français, de souffrir que son ancien instituteur restât dans une pareille situation. Les larmes vinrent aux yeux du bon vieillard qui s’écria « Eh bien ? je ferai tout ce que voudra le Premier Consul ».

Il fut donc convenu qu’il resterait à l’hôtel, mais qu’on lui donnerait un appartement plus convenable, moins haut et mieux meublé ; qu’on lui apporterait à manger chez lui, et qu’outre cela il aurait une pension. « Je n’en veux point, s’écria-t-il encore, je ne veux pas être obligé d’aller faire le pied de grue dans les bureaux pour me faire payer. — On vous l’apportera tous les mois chez vous, » lui dit le maréchal. À cette condition il souscrivit à tout. Il mourut aux Invalides, quelques années après.

Mon projet, en arrivant à l’École militaire, celui de ma famille, était que j’entrasse dans l’artillerie ; mais M. de Valfort prétendit que de cinq élèves d’une école comme celle de Brienne, qui était réputée une des plus fortes pour les mathé-

  1. De Castres fait ici une légère erreur. Davout, dont il avait été l’aide de camp, ne fut nommé maréchal que lors de la création de l’Empire, le 18 mai 1804. Sous le Consulat, il était commandant en chef de la garde consulaire.