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à l'odeur fétide, quand, debout sur ses pattes de derrière, Baloo se mit à secouer l'arbre. Alors, petit à petit, la chaleur, que n'avaient pas tempérée les Pluies, s'insinua jusqu'au cœur de la Jungle, et la fit tourner au jaune, puis au brun, et enfin au noir.

Les verdures, aux flancs des ravins, furent grillées, réduites en fils de fer brisés et en pellicules racornies de végétation morte ; les mares cachées baissèrent entre leurs berges cuites qui gardaient la dernière et la moindre empreinte de patte, comme si on l'eût moulée dans du fer ; les lianes aux tiges juteuses tombèrent des arbres qu'elles embrassaient et moururent à leurs pieds ; les bambous dépérirent, cliquetant au souffle des vents de feu, et la mousse pela sur les rochers au profond de la Jungle, jusqu'à ce qu'ils restassent nus et brûlants comme les galets bleus qui miroitaient dans le lit du torrent.

Les oiseaux et le Peuple Singe, dès le commencement de l'année, remontèrent vers le nord ; ils savaient bien ce qui arrivait ; le daim et les sangliers envahirent les champs dévastés des villages lointains, mourant parfois sous les yeux des hommes trop affaiblis pour les tuer. Quant à Chil, le Vautour, il resta et devint gras, car il y eut grande provision de charogne; et, chaque soir, il apportait aux bêtes trop exténuées pour se traîner jusqu'à de nouveaux terrains de chasse la nouvelle que le soleil était en train de tuer la Jungle sur trois jours de vol dans toutes les directions.

Mowgli, qui n'avait jamais compris le sens exact du mot « faim », dut se rabattre sur du miel rance, vieux de trois années, qu'il racla sur des rochers ayant servi de ruches, maintenant abandonnés — miel aussi noir que la prunelle sauvage, et couvert d'une poussière de sucre sec. Il fit aussi la chasse aux vermisseaux qui forent profondément l'écorce des arbres, et vola aux guêpes leurs jeunes couvées. Tout le gibier, dans la Jungle, n'avait plus que la peau et les os, et Bagheera pouvait bien tuer trois fois dans la nuit pour faire à peine un bon repas. Mais le pire, c'était le manque d'eau : si le Peuple de la Jungle boit rarement, il lui faut boire à sa soif.

Et la chaleur continuait, continuait toujours, et pompait toute l'humidité, au point que le vaste lit de la Waingunga,