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L’ÎLE DE PÂQUES

de ces natures polynésiennes, si accueillantes et d’apparence débonnaire : ainsi, là-bas, en Océanie, aux îles de Routouma et d’Hivaoa, des Maoris, d’un aspect charmant, à l’occasion vous mangent encore.

Son histoire contée, Atamou, persuadé que j’ai très bien compris, me prend par la main, et nous continuons notre route.

Devant nous, voici un monticule de pierres brunes, dans le genre des cromlechs gaulois, mais formé de blocs plus énormes ; il domine d’un côté la mer où rien ne passe, de l’autre la plaine déserte et triste, que limitent au loin des cratères éteints. Atamou assure que c’est le maraï, et tous deux nous montons sur ces pierres.

On dirait une estrade cyclopéenne, à demi cachée par un éboulement de grosses colonnes, irrégulières et frustes. Mais je demande les statues, que je n’aperçois nulle part — et alors Atamou. d’un geste recueilli, m’invite à regarder mieux à mes pieds… J’étais perché sur le menton de l’une d’elles, qui renversée sur le dos, me contemplait fixement d’en bas, avec les deux trous qui lui servaient d’yeux. Je ne me l’imaginais pas si grande et informe, aussi n’avais-je pas remarqué sa présence… En effet, elles sont là une dizaine, couchées pêle-mêle et à moitié brisées : quelque dernière secousse des volcans voisins, sans doute, les a culbutées ainsi, et le fracas de ces chutes a dû être lourdement terrible. Leur visage est sculpté avec une inexpérience enfantine ; des rudiments de bras et de mains sont à peine indiqués le long de leur corps tout rond, qui les fait ressembler à des piliers trapus. Mais une épouvante religieuse pouvait se dégager de leur aspect, quand elles se tenaient debout, droites et colossales, en face de cet océan sans bornes et sans navires. Atamou me confirme d’ailleurs qu’il y en a d’autres, dans les lointains de l’île, beaucoup d’autres, toute une peuplade gisante et morte, le long des grèves blanchies par le corail.

Aux pieds du maraï est une petite plage circulaire, entourée de rochers, sur laquelle nous descendons ; l’émiettement, par la mer, des coraux de toute espèce lui a fait un sable d’une blancheur neigeuse, semé de frêles coquilles précieuses et de fins rameaux de corail rose.

Cependant l’alizé, comme hier, souffle avec une violence