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(Anikita) prie Tikhon de l’accompagner. Celui-ci, vient, discute, puis demande de lui pardonner. »

Cette note confirme d’abord le fait de l’identité entre le Tikhon de La Vie d’un grand Pécheur et celui qui accomplit le même geste devant Stavroguine, geste imitant celui de Tikhon Zadonsky. Quant aux personnages d’Anikita et Tchaadaïev, la lettre de Dostoïevsky à Maïkov, du 26 mars 1870, que nous avons déjà citée, contient un passage expliquant la présence de Tchaadaïev au monastère et éclairant d’autant mieux la note qu’on vient de lire que Tchaadaïev n’est pas un personnage imaginaire, mais un écrivain philosophe connu par ses Lettres philosophiques, écrites en français et éditées à Paris, par le Père jésuite Gagarine, vers les années 40 du XIXe siècle. Seule la première lettre avait été traduite en russe et publiée en 1836, avant l’édition française. Elle causa une telle émotion dans toute la Russie, qu’aucun écrit n’en avait jamais produit de semblable, conte un témoin. Pour juger le mobile auquel obéit Dostoïevsky en introduisant dans son roman la personnalité de Tchaadaïev, il convient de citer quelques passages caractéristiques de la fameuse Lettre Philosophique.

« L’une des plus pitoyables particularités de notre culture est que les vérités depuis longtemps connues chez les autres nations, même chez celles qui, sous bien des rapports, sont moins instruites que nous, commencent à peine à être découvertes chez nous. Et cela résulte de ce fait que nous n’avons jamais marché avec les autres peuples ; nous n’appartenons à aucune des grandes familles humaines, ni à l’Occident, ni à l’Orient, nous ne possédons les traditions ni de l’un, ni de l’autre…

» Nous sommes apparus dans le monde comme des enfants illégitimes, sans patrimoine, sans liens avec les hommes qui nous ont précédés, nous n’avons bénéficié d’aucune leçon du passé… Nous appartenons à des nations qui semblent ne pas faire partie intégrante de l’humanité et n’exister que pour donner quelque grande leçon au monde dans l’avenir…

» Par notre situation entre l’Orient et l’Occident, appuyés d’un coude sur la Chine et de l’autre sur l’Allemagne, nous devrions unir en nous deux grands principes de la compréhension : l’imagination et la raison. Mais telle n’est pas la destinée qui nous est échue. Isolés dans le monde, nous ne lui avons rien donné, nous ne lui avons rien pris… »

La racine du mal, selon Tchaadaïev, est que les Russes ont puisé