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RELATION DE MON VOYAGE EN POLOGNE

d’une retraite en plein dégel dans les plaines de l’Ukraine impressionnent moins Antoine, que la façon superbe dont lui et son frère sont reçus par les électeurs d’Allemagne, les princesses Palatines et la reine de la République de Pologne.

Il surgit même une petite bouffée d’orgueil, quand le désir de les bien traiter créa parmi les seigneurs polonais qui s’en disputaient l’honneur, une espèce de désordre, et la magnificence des équipages et des costumes l’impressionne plus fortement que le désagrément de la campagne en Moscovie.

Pas plus que Louis XIV, qui ne voulait pas voir les blessés de ses guerres, ceux-ci ne figurent dans le récit d’Antoine ; ils disparaissent après les batailles, comme les chevaux et les équipages, sans commentaires.

Le jeune Gramont dénombre aussi exactement les rasades des repas monstres offerts en cours de route, que les détails défensifs des places fortes et des ports de mer.

Voilà par quoi nous entrons en plein xviie siècle ; la raison, la santé, la mesure sont incorporés dans toute la race des Français d’alors ; l’éducation forte et réaliste reçue par le voyageur lui permet d’exercer un sûr et tranquille jugement sur ce qu’il voit, et il ne voit que l’essentiel. L’essentiel, pour un sujet de Louis XIV, c’est l’art militaire et l’art des places défensives. Vauban est là qui va agrandir et fortifier la nation. Il examine aussi les ports et le nombre de navires qu’ils peuvent contenir et ces appréciations n’ont guère changé.

«… Le port (de Hambourg) est un des plus beaux qu’il y ait dans l’Europe ; la grande facilité avec laquelle tous les vaisseaux y abordent fait la grandeur de son commerce avec toutes les nations du monde, aussi n’est-il point de ville plus riche…

»… Nous… jetâmes l’ancre à l’entrée de la Vistule devant le Wistermunde, qui est une citadelle de cinq bastions revêtus dans la mer laquelle défend l’entrée de cette rivière, et qui fait la sûreté du port… Nous… prîmes des chaloupes qui nous conduisirent à Dantzig. C’est à mon gré une des plus belles, des plus superbes, et des plus fortes places qu’on puisse voir ; de l’embouchure de la Vistule à Dantzig il y a près de trois quarts de lieue et pour communiquer de la ville au Wistermunde dont je viens de parler, l’on a fait à droite et à gauche des bords de la rivière, de grandes redoutes fraisées et palissadées à trois cents pas les unes des autres, dans chacune desquelles il y a une garde et sept ou huit pièces de canon ; le port de Dantzig est un des plus beaux que l’on puisse voir dans le monde ; il peut contenir mille vaisseaux et j’en ai vu de huit cents tonneaux mouillés dans les rues et devant les boutiques des marchands à qui ils appartenaient… »

À cette époque, il n’y a pas encore d’états d’âmes esthétiques, ils sont mêmes un peu méprisés : « Que faire donc avec du courage et de l’ambition ? Aller visiter le Vatican, la colonne de Trajan à Rome et le reste des antiquités d’Italie était une chose qui lui paraissait