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LA REVUE DE PARIS

Il n’a rien de commun avec les doctrines « avancées » des révolutionnaires de chez nous, ni même des bolchévistes russes, qui tous conçoivent le progrès comme le développement indéfini d’une ligne droite où ils font figure d’avant-garde. Pour Gandhi, la vérité est en arrière : nous lui tournons le dos. Expert autant que n’importe qui à se servir, au profit de sa cause, de toutes les inventions les plus modernes, il les condamne toutes cependant, presse, chemins de fer, télégraphes, téléphones. Il veut restaurer la vie simple, qui est aussi la vie vertueuse. Lui objectez-vous que l’Inde, abandonnée à elle-même, ne sera pas de taille à se défendre ? Il vous dira qu’aucun danger ne saurait la menacer dans les hauteurs spirituelles où elle se sera élevée.

À sa doctrine de non-coopération se juxtapose une doctrine de non-résistance au mal, qui l’a fait comparer à Tolstoï : influence positive, et non simple rencontre d’idées. En décembre 1908, le sage, à demi oriental, de Yasnaya Polyana publiait une Lettre à un Hindou, qui qualifiait « d’effroyable absurdité historique la prétention de guérir, en l’européanisant par les moyens de la puissance moderne, un pays en possession séculaire du trésor moral le plus sacré, dont cette panacée spirituelle : le Bouddhisme ». Le règne des Anglais sur l’Inde est un grand mal : « ne combattez pas le mal, mais n’y prenez aucune part. Refusez de coopérer en aucune manière à l’administration gouvernementale, à la marche des tribunaux, à la perception de l’impôt, surtout au recrutement de l’armée ; et nulle puissance au monde ne sera capable de vous subjuguer. »

Toute la tactique de Gandhi est ici en germe. Dans sa lutte contre l’autorité anglaise, à qui il ne reproche point d’être anglaise, mais d’être le véhicule d’une influence extérieure, d’un génie contraire à celui de l’Inde, il a recommandé d’abord de ne pas payer l’impôt ; les premiers chocs se sont produits, quand, à sa voix, les paysans ont refusé leurs fermages. Ligué depuis le courant de 1920 avec les Mahométans qui ne pardonnent pas à l’Angleterre de tenir Constantinople et d’humilier le Califat, il mêle ses préceptes tolstoïsants à leurs citations du Coran pour arrêter le recrutement d’une armée peut-être destinée à combattre les Turcs. En septembre