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MAHATMA GANDHI

parents retirent leurs enfants des écoles, des collèges, des universités d’État, où l’on ne dresse que des esclaves ! que tous abandonnent l’usage des produits européens, des étoffes européennes, des étoffes ou il entre des matériaux importés d’Europe ; qu’ils filent et qu’ils tissent eux-mêmes leurs propres vêtements ! qu’ils proscrivent les liqueurs fortes, qu’ils ne prennent plus ni sucre ni thé, puisque c’est maintenant le capitalisme européen qui les fabrique ou les cultive ; qu’ils demandent toute leur nourriture au sol natal ! qu’ils ne donnent plus un sou aux entreprises britanniques ! Maris et femmes, restez plutôt sans enfants que d’en procréer dans la nuit de ce temps où la civilisation occidentale a posé son sinistre sceau !

Ce n’est point le suicide de la race. Ce n’est point même un vœu de continence prolongée. Dans cette vision apocalyptique, la consommation des choses est proche. Si le peuple de l’Inde craint Dieu et suit fidèlement ces préceptes de non-coopération, avant un an, avant six mois il sera maître de ses destinées ; le joug étranger se sera évanoui. Si, après cela, les Anglais désirent encore rester dans l’Inde, libre à eux ; mais ils ne le désireront sans doute pas, une fois qu’ils n’auront plus rien à y gagner. L’essentiel, c’est que les fils du sol reprennent en mains le gouvernement d’eux-mêmes, rebâtissent leur culture sur les solides fondements des vedas, développent leur civilisation dans le sens des traditions antiques. La civilisation de l’Inde ancienne est sans égale : on lui reproche de n’avoir pas progressé ! mais c’est précisément là son mérite, son ancre de salut, la preuve qu’elle demeure foncièrement saine. La civilisation de l’Occident, elle, est pourrie ; elle est de nature satanique. Sa démocratie n’est que duperie. La « mère des Parlements », sur laquelle on convie l’Inde à prendre modèle, « n’est qu’une femme stérile n’ayant jamais accompli de son propre gré un seul acte qu’on puisse appeler bon ; courtisane et maîtresse entretenue du Ministère au pouvoir. »

Tel se présente ce nationalisme, à la fois traditionaliste et mystique, profondément enraciné dans le passé et qui se retourne de tout son élan vers ce passé. On a bien pu dire, à ce point de vue, qu’il est essentiellement réactionnaire.