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Lénine règne toujours avec la même simplicité et la même facilité extraordinaires ; il imprime de l’argent et paie les gardes-rouges pour qu’ils fusillent ceux qui ne « reconnaissent point ». Voilà toute la base de l’ordre dans l’État. Et l’on dirait, d’après tout cela, que, tant qu’on n’aura pas usé en Russie tout le papier pour l’argent et qu’on n’aura pas tiré toutes les balles, le règne des déments continuera. Ils ne sauront pas faire de nouveau papier ni de nouvelles munitions et alors, c’est la fin, la camisole de force. Mais si les « techniciens » leur fabriquent de nouveau papier, ils régneront encore un peu, jusqu’à ce que la Russie devienne un désert hurlant de famine et de mort.

À Pensa a été élevé un monument, le premier en Europe, à Karl Marx. La commission qui fiche par terre ou, comme ils disent, qui « licencie » les monuments, a commencé les travaux par la destruction de celui de Skobelef. On prépare la même chose pour Pierre le Grand (sur le quai) et pour les autres. Tandis qu’à Moscou on se propose d’élever un monument au « libre cosaque » Stenka Razine.

« Le Soviet des arts » de Pétersbourg (je crois que j’en suis aussi) a élaboré, sous la présidence de Gorki, une protestation et l’envoie aux écrivains et peintres connus. Pour des fous l’acte est parfaitement régulier, mais même l’existence d’une maison de fous ne peut excuser que Gorki en soit le président. L’esprit borné de ces « intellectuels élus » force à attendre le lendemain avec effroi et tristesse. Lénine, ce n’est rien ! Lénine mourra et l’imbécile mourra, mais que faire avec ceux-là, qui ont une apparence de cerveaux.

Tant que la classe intellectuelle censitaire travaillait pratiquement dans les commissions des zemstvos et de la Douma, apprenant certaines choses mais privée de travail vivant ceux-là, à l’étranger, dans le sous-sol et dans toute opposition extrémiste, inventaient les baumes les plus guérisseurs. Chacun avait son baume et sa patente : Tchernof et Plekhanof en avaient, Lénine, Gorki et les autres aussi. Il n’y avait qu’un malheur : aucune occasion ne se présentait d’essayer le baume, mais est-ce que cela est si nécessaire ? Et lorsque la Russie s’étendit sur sa couche, ils se mirent à la soigner, chacun avec son remède. À bien y regarder, tous les socia-