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LA REVUE DE PARIS

― Oui, madame, ― expliqua-t-il, ― Sa Divine Majesté m’a répondu quelque chose. Quand je lui ai rapporté ce dont vous m’aviez chargé pour lui, il m’a dit : « Eh quoi ! Ce couple de coquins vit donc encore ? »

Ève ne voulut voir dans ces paroles que la mauvaise plaisanterie d’un enfant sans éducation. Il lui semblait impossible que le Seigneur eût dit pareille chose. S’il persistait à rester invisible, c’était indubitablement parce qu’il était très occupé par l’administration de ses domaines immenses et qu’il ne disposait pas d’une demi-heure de liberté pour venir faire un tour sur la terre.

Un matin, elle fut récompensée de sa foi dans la bonté divine. Un messager céleste, qui sautait de nuée en nuée, s’approcha d’elle et lui cria :

― Écoute, femme ! S’il ne pleut pas cet après-midi, il est possible que le Seigneur vienne vous faire une courte visite. Il n’a pas vu la terre depuis si longtemps ! Hier soir, en causant avec l’archange Michel, il lui a dit : « Je me demande souvent ce que sont devenues les deux vilaines canailles que nous avions dans le Paradis. J’aurais plaisir à les voir. »

Tout étourdie de cette nouvelle, Ève appela Adam, qui travaillait dans un champ voisin.

Le remue-ménage qui s’ensuivit dans la ferme peut être comparé à celui qui précède la fête patronale dans n’importe quel village d’Espagne, lorsque, la veille au soir, les femmes nettoient leurs maisons de la cave au grenier, tout en préparant la grande ripaille du lendemain.

L’épouse d’Adam balaya et lava les planchers du vestibule, de la cuisine, de la chambre à coucher. Elle mit un couvre-pied neuf sur le lit ; elle frotta les chaises avec du sable et les savonna. Puis elle inspecta la garde-robe de la famille ; et, quand elle eut constaté que les peaux de mouton de son mari n’étaient pas présentables, elle lui confectionna en un tour de main un veston de feuilles sèches. Pour un homme c’était bien assez.

Elle consacra le temps qui lui restait à orner sa propre personne. Elle contempla avec des regards perplexes quelques centaines de vêtements qu’elle avait faits et refaits, et elle se demanda avec désolation :