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avaient renié le Nazaréen portaient un bracelet de fer sur lequel un taureau est gravé, pour rappeler le baptême sanglant du Taurobole qu’ils ont reçu. Tous ces hommes dont le visage était grave, la taille haute, les membres robustes, la marche rapide et infatigable, me parurent des hommes d’un autre âge et sortis des tombes de la vieille Rome : il me sembla voir l’une de ces légions à qui Jules donnait pour délassement la conquête des Gaules entre la construction d’une ville de guerre et celle d’un port. J’éprouvai pendant tout le passage de ces hommes d’airain ce que l’on sentirait à Jérusalem à la vue des guerriers ressuscités de Judas Machabée.

Après eux passèrent six cents éléphants qui portaient les tentes et des vivres pour l’armée dans le désert. Cent autres éléphants couverts de longues housses de pourpre et couronnés d’algue marine étaient conduits par de beaux enfants vêtus de lin qui les guidaient de la voix et avec une baguette d’or. Ces animaux devaient être sacrifiés le lendemain au bord de la mer, et par ordre de l’empereur immolés à Neptune.

Cette légion traversa seule la ville, tandis que le reste de l’armée en faisait le tour, et elle ne daigna pas laisser une garde dans cette cité vaine et tumultueuse d’Antioche dont la force se perd en paroles et en querelles.

On n’entendait plus les pas des troupes et les clairons perdaient leurs voix dans l’éloignement, que la ville était encore muette de stupeur et ses rues aussi désertes que si la peste les eût dévastées. Mais peu à peu quelques portes s’ouvrirent et l’on se hasarda à sortir et marcher d’une maison à l’autre. On se parla des toits, et les rumeurs recommencèrent.

Quelques enfants vinrent avant tous examiner les rues désertes, puis des femmes et, après elles, quelques esclaves, puis des hommes qui marchaient nonchalamment à l’ombre, vêtus de robes peintes, tenant des fleurs à la main, et montrant avec un orgueil voluptueux la blancheur de leurs bras et de leurs jambes ornées de bracelets d’or. Les plus riches Syriens se traînent ainsi quelquefois en public, et se font suivre d’une foule de baladins et d’esclaves à qui ils font exécuter des scènes comiques, en les travestissant très vite et de façon à montrer un esprit prompt et satirique. Cette fois ils tentèrent de faire rire le peuple d’Antioche aux dépens du jeune