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dans l’éloignement. Nous montâmes tous sur la terrasse d’où nous découvrîmes toute la ville couchée à nos pieds dans l’ombre ; à l’orient, les sables, à l’occident la ligne bleue de la mer, et devant nous, se détachant sur la poudre de la plaine, comme une île chargée de palmes, de cèdres, de cyprès et de lauriers, la retraite de Daphné où j’étais attendu.

Antioche était plus que jamais en rumeur. Cette ville inquiète était prise d’un redoublement d’ivresse moqueuse que je ne pouvais m’expliquer. Les rues étaient pleines d’une grande multitude d’hommes qui chantaient et couraient en tenant par le bras des femmes sans voile, que le nouveau culte a délivrées de la retraite sévère du gynécée. Les chrétiennes effrontées d’Antioche regardent les hommes avec une telle audace qu’elles leur font baisser les yeux. Il y avait encore beaucoup de maisons fermées, c’étaient celles des anciennes familles demeurées fidèles à la première idolâtrie qu’ils nomment à présent l’Hellénisme. Mais ces maisons étaient en bien petit nombre, et l’on ne voyait guère sur leurs terrasses que les hommes. Les femmes ne montraient que leurs têtes, leurs voiles et leurs yeux derrière des grillages.

On voyait revenir des campagnes, par troupes de cent ou deux cents hommes, des jeunes gens vêtus de robes noires ceintes d’une corde. Les femmes nazaréennes allaient au devant d’eux et témoignaient beaucoup d’effroi en écoutant leurs récits. Ces hommes avaient l’air irrité et, comme s’ils avaient voulu se venger d’un affront qu’ils venaient de recevoir, je les vis, sous notre terrasse, ramasser des pierres et s’en servir pour briser une statue de Vesta placée à la porte d’une petite maison hellénienne. Le maître de cette maison se contenta de fermer les fenêtres et de faire ôter de sa terrasse une statue de Mercure. Notre frère Siméon de Gad m’apprit que ces hommes venaient de courir les campagnes voisines d’Antioche, comme ils ne cessent de faire chaque jour, pour forcer les campagnards à briser les statues de leurs dieux. Mais il leur faut pour cela livrer de rudes combats. Les villages ne cèdent pas sur ce point aussi promptement que les villes, et leurs habitants qui n’ont pas la mollesse des citadins, tuent, à coups d’arbalète et de piques, les Nazaréens qui veulent toucher à leurs petits temples, et défendent mieux leurs dieux de bois que les riches