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L’ŒUVRE D’HENRI POINCARÉ




LE MATHÉMATICIEN




L’étude d’une grande œuvre se conçoit habituellement et à juste titre comme ayant pour premier objet d’y chercher une unité, d’en dégager une personnalité intellectuelle, et cette personnalité semble devoir être d’autant plus marquée que l’on a affaire à un génie lui-même plus original et plus puissant.

Je ne me placerai cependant pas à ce point de vue : je croirais en l’adoptant diminuer en même temps que dénaturer l’œuvre de Poincaré.

C’est que si tout penseur tend à marquer de son sceau personnel ce que son cerveau façonne, cette tendance est, chez le savant, combattue par une nécessité toute contraire, celle de l’objectivité.

« Nous sommes serviteurs plutôt que maîtres en mathématiques », aimait à dire Hermite, et l’adage tout analogue de Bacon est au moins aussi vrai des sciences mathématiques elles-mêmes que des sciences expérimentales. Le savant — surtout le mathématicien — ne dispose guère, au fond, des moyens d’attaque. Tout au plus suit-il en général son tempérament dans le choix du terrain.

Poincaré ne fit même point ainsi. Il emprunta ses sujets d’étude non aux ressources de son esprit, mais aux besoins de la science. Il a « donné » partout où il y avait une lacune grave à combler, un grand obstacle à surmonter. Son œuvre, c’est tout le développement mathématique actuel.

Si Poincaré a une « manière », si même on peut employer à son égard ce mot qui ressemble à « manie », nous en avons tous hérité, et elle est en chacun de nous.

Si de ses résultats se dégage souvent une unité, celle-ci n’est pas inhérente à l’auteur. Elle est, elle aussi, objective et réside dans les faits eux-mêmes. Il en est, en effet, et ce sont les plus remar-