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'LE FINANCIER, ' fièrement.

Jacques-Remi-Luc de la Dindonnière.


LE COMMISSAIRE

Et qu’êtes-vous ?


'LE FINANCIER, ' fièrement.

Je suis un secrétaire,
Seigneur de Var, Saint-Alban, autres lieux,
Et ma femme eut des nobles pour aïeux.


'LE COMMISSAIRE, ' gravement.

Nous, Pierre-André Barbaron, commissaire
Au Châtelet de Paris, condamnons,
Pour cas fort grave et pour bonnes raisons,
Jacques-Remi-Paul de la Dindonnière,
Seigneur de Var, Saint-Alban, autres lieux,
Dont l’épouse a des nobles pour aïeux,
À cent écus d’amende envers…


LE FINANCIER

 Ah ! Dieux !


'LE COMMISSAIRE, ' montrant Arlequin.

Envers Monsieur, pour insulte et litige
Par ledit sieur faite audit sieur, que dis-je,
Faite à l’honneur, et que dis-je, à la loi,
Faite, que dis-je, au commissaire, au roi.


LE FINANCIER

Mor… !


'LE COMMISSAIRE, ' aux recors.

Qu’on l’emmène, au travers de la rue,
Au Châtelet !
A Arlequin.
Monsieur, je vous salue.

SCENE XI

PERETTE, ARLEQUIN

PERETTE

Cher Arlequin !


ARLEQUIN

Ah ! ah ! cher Arlequin…
Vous voilà donc moins cruelle à la fin.
Qu’est devenue et la fierté sauvage,
Et ce mépris et ces âpres vertus,
Et cet honneur, et tous ces froids rebuts,
Dont vous faisiez un si fier étalage ?
Vous savez donc ce qu’en vaut l’aune enfin,
Et qu’il est dur de soupirer en vain ?
J’ai triomphé d’une indigne faiblesse,
Et la raison a glacé ma tendresse.
Voilà le fruit de vos sages refus.


PERETTE

Je rougissais ; que vouliez-vous de plus ?



ARLEQUIN

Vous rougissiez, oui ; mais, la belle dame,
Un rire amer insultait à ma flamme.
Vous appeliez cette fausse rougeur
L’effet soudain d’une sombre vapeur.
Vous affectiez à ma vue abusée
Un cœur distrait par quelque autre pensée.
Vous aviez l’air, dans votre émotion,
De regarder ma très sotte personne
Pour lui servir d’ombre et de Musion…
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! C’est assez me contraindre…
Embrassons-nous, et je ne puis plus feindre.


'PERETTE, ' s’approchant du tonneau.

Tu m’as donné du goût pour la raison,
Et je veux mettre à profit la leçon.
Ah ! je renais. Douce philosophie,
Sois désormais le flambeau de ma vie.
J’ai vu le rêve, et voici le réveil.
Retirez-vous, Monsieur, de mon soleil.


'ARLEQUIN, ' à part.

Me voilà bien ! Je crois que toute belle
Est un démon sous une peau femelle..
Mais tu m’aimais tout à l’heure.


PERETTE

Ma foi,
Je le disais pour me moquer de toi.
Que la sagesse est une belle chose !


ARLEQUIN

J’admire fort cette métamorphose.


PERETTE

Jusqu’aujourd’hui j’ai promené mon cœur
De songe en songe et d’erreur en erreur
Et je conçois comme vous la sottise
De ce néant dont notre âme est éprise.
De mon soleil ôtez-vous, s’il vous plaît.


ARLEQUIN

J’approuve fort ce conseil, en effet.
Madame, adieu. Sagesse et pruderie
Sont toutes deux une étrange manie.
Je me repens du temps que j’ai perdu
À mériter un cœur qui m’était dû,
Adieu, madame, et gardez pour vous-même
Ce chien de cœur qui ne veut pas qu’on l’aime.
J’étais bien sot, morbleu, de soupirer,
De larmoyer, de me désespérer.
Madame, adieu. Ma foi, j’étais bien bête
De me creuser et la verve et la tête
Pour distiller mes feux extravagants
En madrigaux tendres et languissants
Je ne veux plus rien aimer de ma vie
Que le bon vin et la philosophie.