Page:Revue bleue Série 5 Tome 8 Numéro 4, 27 juillet 1907.djvu/4

Cette page n’a pas encore été corrigée


'ARLEQUIN, ' dans le tonneau.

Qui que tu sois, porte tes pas ailleurs
Laisse en repos un sage solitaire
Dont la raison ne croit pas aux malheurs.


PERETTE

L’amour y croit.



ARLEQUIN

L’amour cause ta peine.
Quand il nous blesse, il faut rompre sa chaîne.
N’imite pas ces débiles amants
Dont la raison, asservie à leurs sens,
D’un lâche amour subit l’humble faiblesse
Et s’engourdit au sein de la mollesse.
L’amour n’est rien qu’un frivole besoin
Et d’un grand cœur il doit être bien loin.
Enveloppé dans mon indifférence,
Du sort trompé je brave l’inconstance.
Je n’aime rien, je ne hais rien aussi,
Je vis content, et tu peux l’être ainsi.
Prends un tonneau, fuis une ombre incertaine.
Fuir le plaisir, c’est fuir aussi la peine.
Ne te plains pas du destin et du ciel
Tout ici-bas suit un ordre éternel.


PERETTE

Pauvre Arlequin !


ARLEQUIN

Prends un tonneau, te dis-je.
À ce parti la sagesse t’oblige.
Oui, tout est bien, mais tout serait bien mieux
Si tu voulais t’éloigner de ces lieux.


PERETTE

Je suis Perette.


ARLEQUIN

Eh ! Perette, Perette…
Ton sot caquet me fait tourner la tête.
Eh ! que veux-tu ?


PERETTE

Rassurer un amant
Dont ma pudeur a causé le tourment,
Le rappeler à l’amour, à lui-même,
Le rendre heureux, lui jurer que je l’aime
Et réparer par mes pleurs à mon tour
Le malheur dont j’ai payé son amour.
Cher Arlequin, c’est toi que je déplore,
Toi qui m’aimais, et que mon cœur adore.


'ARLEQUIN, ' brusquement.

Moi, vous aimer ! Vous badinez, je crois.
De mon soleil ôtez-vous toutefois.



PERETTE

Cher Arlequin !


ARLEQUIN

Arlequin dans sa tonne
Dort, et ne veut être cher à personne.
Retirez-vous.


PERETTE

Je ne puis vous quitter.


ARLEQUIN

Je ne veux plus, morbleu ! vous écouter.
Retirez-vous.


PERETTE

Vous n’aimez plus Perette.


ARLEQUIN

Je n’aimerai jamais que mon tonneau
Et je vous hais ! Êtes-vous satisfaite ?


PERETTE

Ingrat, tu veux m’envoyer au tombeau.
Ah ! j’en mourrai !


'ARLEQUIN, ' montrant le nez.

L’aventure est plaisante
Que vous soyez malgré moi mon amante.
Non, mangrebleu, ne vous abusez pas.
Je ne suis point friand de vos appas.
Il fut un temps, avant que la sagesse
Des sens fougueux eût amorti l’ivresse,
Où j’aurais pu profiter par malheur
De la folie où se perd votre cœur.
J’aimais alors, et j’aimais une prude,
Laide beauté, malheureuse Gertrude,
À qui je dois la paix et mon tonneau.
Jeune, sensible, et sans expérience,
Sa pruderie allumait mon cerveau
Et jouissait de mon impatience.
Désespéré de ses fausses rigueurs,
Mon fol amour se nourrissait de pleurs ;
Elle savait toucher avec adresse
Tous les ressorts de ma sotte faiblesse,
Semblait céder parfois à mon dépit,
Payait mon cœur de tout son bel esprit,
Du nom d’honneur se pavanait sans cesse.
Tendre avec art, naïve avec adresse,
Elle fit tant enfin que le malheur
Me rendit sage et rebuta mon cœur.
Indifférent, j’écoule ici la vie,
Claquemuré de ma philosophie.
C’en est assez. Profitez du conseil ;
Et maintenant sortez de mon soleil.


PERETTE

Hélas !