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754 M. T. DE WYZEWA. — M. THÉODORE FONTANE. lin paie jpiinc liomnio vieilli avant l’Aide; une blessnre reçue pendant la guerre française la obligé à quitter le service; et il s’ennuie, trop faible pour s’occuper d’un travail régulier, trop fatigué pour prendre intérêt à la vie. Il a été séduit, cependant, par la réserve et l’air souffreteux de la jeune fille, et il vient faire avec elle plus ample connaissance. Bientôt la société de Stine devient sa seule distrac- tion ; si bien qu’un jour, après avoir beaucoup réfléchi et beaucoup hésité, il prend le parti de se marier avec elle. Mais le vieux comte, son oncle, qu’il est allé con- sulter, considère ce projet de mariage comme une folie; il court chez la veuve Pitteikow, lui reproche durement d’avoir laissé les choses en venir à ce point, et la somme de faire en sorte que le mariage n’ait pas lieu. La veuve, d’ailleurs, n’a pas de peine à décider sa sœur. Stine sait trop bien qu’elle est de celles qu’on n’épouse pas. Elle refuse la proposition du jeune comte qui se tue, désespéré. Tel est le sujet de Stine. Plus simple encore est le sujet de l’autre roman : Irrnngen Wirrungen. Ce titre signiûei’ait en français : Erreurs et E7nharrns, quelque chose d’assez niais; mais il est plein, en allemand, d’un sens délicat ; et je crains bien que, comme son titre, le roman de M. Fontane ne perde toute signification a être traduit. C’i'sl l’histoire des courtes amours d’un jeune offi- cier, le baion de Rienacker, et d’une blanchisseuse des faubourgs de Berlin, Madeleine Nimpscli. Madeleine avait eu déjà un amant lorsqu’elle a fait la rencontre du bel officier, qui l’a ramenéis chez elle, et, depuis, y vient presque tous les jours passer quelques heures dans sa compagnii;. La petite Madeleine aime son amant de tout son co’ur, mais elle sait qu’il ne saurait être question entre eux d’un mariage, ni même d’une liaison durable. Du moins elle se livre tout entière au plaisir d’aimer. Chacun d’ailleurs l’y encourage, au- tour d’elle : .sa belle-mère, la vieille M’"" Nimpsch, et le jardinier Dorr, pro|)riétaire du petit logement qu’elle habite, et M°" Dorr, une ancienne cocotte qui, sur le tard, a séduit le jardinier par sa haute stature et sa mine de gendarme. La liaison de Madeleine avec le baron est, pour tous ces braves gens, une source con- tinuelle de joii- et (le consolation. Le soir, quand le jeune homme arrive, au sortir de la casi.’rne, tous lui font fête; il est si poli, si doux, si |)ii’iii de pri’ve- iiancesl II a de bouiii’s paroles pour chacun. Puis Ma- deleine prend sou bras, et ils vont dans la campagne, siuis le clair de lune; souvent ils emmènent M"" Dorr avec eux ; les bavardages de la digne femme les dispen- sent d’avoir rien à se dire. Et lor.s(|ue tout le monde est allé si> coucher, ils rentrent dans lu petite chambre, se eiiailll’ei- auprès du poi’le. Un jour, enfin, le baron .se voit forcé de céder aux instances de sa famille, qui veut le marier avec une jeune fille riche. Pour la dernière fois il va chez Made- leine. La pauvre petite s’attendait depuis longtemps à cette sépai’ation ; dans une récente partie de campagne qu’elle avait faite avec son ami, elle avait été si heu- reuse, et puis s’était tout d’un coup sentie si triste sans raison, que la fin de son bonheur, bien sûr, ne pou- vait plus tarder. Elle se montre pleine de courage au moment de l’adieu, jure au jeune homme qu’il a raison de la quitter, et cherche par tous les moyens à le consoler. Elle souffre beaucoup, pourtant, de ce départ. Un an après, ayant rencontré dans la rue son ancien amant au bras de sa jeune femme, elle manque de s’évanouir. Mais tout passe. Et quand l’année suivante un contre- maître de fabrique la demande en mariage, elle s’em- presse de consentir^ Imaginez que, dans cette histoire, la blanchisseuse berlinoise soit remplacée par une couturière de l’avenue de Saint-Ouen, et le baron de Rienacker par un étudiant du quaitier latin. Imaginez que les deux amants s’occupent davantage de robes et de chapeaux, et s’occupent un peu moins de la lune, qui joue efl’ec- tivement, comme l’on sait, un rôle considérable dans la vie allemande. Ces petits changements. faits, — et rien n’est plus simple, — vous aurez le modèle du roman naturaliste, tel qu’il se pratiquait en France il y a dix ans. Ce n’est pas tout à fait le roman de M. Zola : c’est un roman plus iiatuniliste, plus conforme aux théories de M. Zola. Nos jeunes romanciers de- vaient sentir des histoires de ce genre-là leur gernu<r dans la tête, quand ils s’en revenaient d’une visite à Médan. Tous les caractères du roman naturaliste se retrou- , vent dans le récit de M. Fontane. Les amours de la blanchisseuse et du baron sont au juste ce qu’on peut ap|)eler une tranche de la vie. Nous les voyons sans voir du tout ce qui les n précédés, sans presque rien voir de ce qui les a suivis. Ils sont ])ris, en outre, à la réaliti- la plus ordinaii’e. L’aventure est de celles ([iii arrivent tous les jours : elle n’a pas un détail qiù soit invraisemblable, ni même exceptionnel, ni même, pour ainsi dire, indivi- duel. Et les caractères sont, comme l’aventure, sim- ples, médiocres, ()uolidiens. L(> jeune homme et la jeuiu’ fille sont un peu i>lus sentimentaux qu’on no l’est chez nous en pareille circonstance : mais la scèno se liasse à Rerlin, et j’ai tout d’abord admis (pi’ou rê- (inirail la part de la lune. l,a forme (In ronuiii di’ M. Fontane (il m’a elé impos- silije, dans mon analyse, d’en donner l’iili’i') est une