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692 M. LOUIS GANDERAX. — UNE PROPHÉTIE. rances que le prince de Bismarck enroyait au Souve- rain Pontife. Et, justement à cette époque, arrivait dans la Ville éternelle une députalion d’évèques amé- ricains, apportant au Saint-Siège un mémoire en fa- veur d’une association ouvrière et soumettant à son examen, recommandant à sa bienveillance les nou- velles questions sociales. Vous souvenez-vous de cette conjoncture? Si je m’en souviens, j"aime autant vous le dire, c’est grâce à l’ad- mirable étude aussitôt publiée dans la Revue des Deux Mondes, sous ce titre : « Affaires de Rome », et rééditée, il y a quatre ou cinq mois (1), avec une légitime co- quetterie, par son auteur : Eugène-Melchior de Vogiié. Il s’agissait de savoir si la papauté, n’ayant plus à compter, ni dans le présent ni dans l’avenir, pour le rétablissement de son pouvoir temporel, sur « la fille aînée de l’Église », devait pourtant lui garder son in- dulgence et même lui rendre sa faveur, ou bien transférer l’une et l’autre à cette étrangère, à la protes- tante Allemagne, qui ne protestait, pour le moment, que de ses dispositions à payer d’une assistance diplo- matique un service électoral. Il s’agissait, en m ^me temps, de savoir si la papauté, si l’Église catbolique — universelle ! — dont elle a le gouvernement absolu, voyant le débat ouvert désor- mais au delà comme en deçà de l’Atlantique, essaye- rait de ménager une entente au profit du capital, ou bien au profit du travail. Le prince de Bismarck, en personne, avait lié forte- ment les deux problèmes. Il avait dit à son Parlement : <’ Le Pape et l’Empereur ont les mêmes intérêts. Ils doivent résister de concert à l’anarchie. » El, mieux encore : « Je me réjouis de voir les deux autorités, l’autorité temporelle et l’autorité spirituelle, combattre d’un commun accord la démocratie. » D’autre part, M’Miibbons avait écrit : « C’est ignoi’cr la nature et les forces de la société humaine que de rêver que celte lutte puisse être empêchée... Il est d’une importance souveraine que l’Église soit trouvée toujours et fermement rangée du côté de l’humanité, de la justice envers les multitudes... Perdre le cœur du peuple, ce serait un dommage que l’amitié du petit nombre des riches et des puissants ne compenserait pas. » Et, là-dessus. M" Manning : » Jusiiu’ici, le monde a été gouverné par les dynasties; désormais le Saint- Siège a à traiter avec le peuple. » Aussi bien, dix ans plus tôt, le carilinal Pecci lui- Hiême, « en présence de ces êtres épuisés par le fait d’une cupidité sans entrailles », accusait la civilisation moderne, instituée « en dehoi’s de l’Église et sans (I) Siicctacles contemporains, pnr le v" K. Mtlclii)i- d; VogUé; Armand Culin, éditeur. Dieu », de nous ramener « à ces époques de deuil où l’esclavage écrasait une grande partie de l’humanité et où le poète s’écriait tristement : Humanum paucis vivit genus! » — Léon .XIII avait-il oublié les paroles du cardinal Pecci ? Ainsi la papauté, la plus haute puissance morale qui existe à la surface du globe — et d’autant plus mani- festement qu’elle est réduite, par la ruine du pouvoir temporel, à son essence pure — avait le choix entre la France et l’Allemagne, entre l’action démocratique et la réaction. Des « spectacles contemporains », lequel offrait au monde un intérêt plus général, à nous un intérêt plus particulier que cette alternative? C’était, si j’ose dire, la tentation de saint Pierre. Homme de vieille race et d’esprit jeune, respectueux du passé, dévoué passionnément à l’avenir, enthou- siaste et grave, également fier de son pays et de son siècle, attentif à nos affaires jusque dans la con- templation des affaires humaines, aussi brave dans le combat des idées qu’au feu de l’ennemi (la médaille militaire est bien placée, en souvenir de l’année ter- rible, sur son habit d’académicien), vous devinez, si vous ne le savez pas, en quel sens Eugène-iMelchior de Vogué se plaisait à prévoir que saint Pierre allait tourner sa barque. L’amitié de l’Allemagne? Elle n’avait pas eu de veille et n’aurait pas de lendemain. La France était néces- saire à l’Église, dès que l’Église mettait la main à cette pftte, à la démocratie, « comme le levain est nécessaire au boulanger ». Pouvait-elle ne pas l’y mettre? Au lieu de montrer <■ son immutabilité », l’heure avait sonné de montrer « sa puissance de transformation », ou plu- tôt de revenir à elle-même, à son principe : étant catholique, elle se trouvait cosmopolite; et la doctrine de la démocratie, ne l’avait-elle pas dans l’Éivangile? Ainsi, tout naturellement, elle s’accordait aux idées nouvelles. Heureux accord, et pour elle et pour ces’ idées! Avec la démocratie, l’Église régnerait sur la terre; sans l’Église, que deviendrait la démocratie? Ehl oui, c’était une question de savoir « si elle ne sombre- rait pas dans la barbarie avant d’avoir atteint so» idéal ... > Bien ne pouait [U’éscrver le niorule de la crue dé- mocialiiiue et du socialisme qui l’accompagne; on chercherait vainement en dehors de l’Église une force capable de limiter celle crue et de la diriger. » A cha- cun lies hommes qui seraient les Ilots de celle marée ou de ce déluge, la loi du Christ imposerait seule « la mesure raisonnable de ses dioits » ; pour donner à ce chaos la vie organiciue, il faudrait ([ue l’esprit de Dieu, celle fois encore, vînt se mouvoir sur les eaux... Nul n’est prophète en son faubourg; el ce n’est pas le moyen de l’êlrc, appareninieni, que de contraiier