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202 C. M. STANIOUKOVITCH. IN HOMME A LA MER! — Il me semble qu’il a pu saisir la Louée, dit le commandant, abandonnant pour un instant sa ju- melle. Timonnier, ne quitte pas l’œil de la lunette! — Oui... je les vois! — Vite, plus vite, mettez en panne et amenez la ba- leinière, commanda le capitaine d’une Toi. nerveuse et saccadée. Il n’était pas besoin de hâter la manœuvre. Les ma- telots, comprenant que chaque seconde était pré- cieuse, travaillaient comme des enragés. Huit minutes après l’accident, le croiseur était déjà en panne et la baleinière avec ses hommes, sous le commandement de l’aspirant Liessovoi, descendait lentement de ses bossoirs. — Que Dieu vous soit en aide! leur dit le capitaine. Cherchez les hommes par le nord-ouest-ouest... Mais n’allez pas trop loin ! Déjà les deux hommes tombés à la mer n’étaient plus visibles, car, pendant ces huit minutes, le croiseur avait au moins parcouru l’espace d’un mille. — Quels sont les hommes qui sontlombés?demanda le capitaine au second. — Choulikoff; il a été précipité de son poste pendant qu’il jetait la .sonde, sa ceinture s’est rompue. — Mais l’autre? — C’est Gitinc,qui s’est précipité à la suite de Chou- tikoff. — Comment, Giline! ce lambin, ce poltron, dit le capitaine étonné. — C’est en effet inconcevable! répondit Vassili Ivano- vitch. Cependant, tous les yeux étaient rivés sur la balei- nière, qui s’éloignait lentement du bord, tantôt dispa- raissant, puis reparaissant au milieu des lames. A la fin, elle échappa complètement à l’œil nu. Ce ne fut plus qu’un point imperceptible au milieu des vagues agitées de l’océan. Un morne sih’ncc régnait sur le croiseur. C’est à peine si, de temps en temps, les matelots éciuingeaient (|uel(|ues niolsà voix basse. Le commandant ne ({uil- Inil point sa jumelle; le premier pilote et les deux ti- moniers avaient l’u'il collé aux longues-vues. Une gi’ande demi-heure se passa ainsi. — La bah’inière revient! s’écria un limonier. De nouve.’iu, tous les regards sondèrent l’océan. — Certainement, ils ont sauvé nos griis!(lit le se- cond au capilaine à voix b.issc. — Qui vous le i’ail croire, Vassili Ivanovitch? — Liessovoi, sans cela, ne serait pas revenu si vile. l’Iaise à Di(Hi ([u’il en soit ainsi ! lîallotté par les lames, la baleinière se rapprochait (lu navirr’. On eûldil, de loin, une frêle co(iuilie prèle à s’engloulir à cha(|ue seconde, lorsque, soulevée un nioniful sur lacrèle des viigufs, elle venait à descendre (II- nouveau. — Quel liravi’ niiu’in qui’ ce Liessovoi, cou il gouverne bien ! s’écria le capitaine, qui suivait les mouvements de l’embarcation d’un œil avide. La baleinière se rapprochait toujours. — Ils y sont tous deux, cria le timonier d’un accent joyeux. Un soupir de satisfaction s’échappa de toutes les poi- trines, un grand nombre de matelots se signèrent. La vie renaissait sur le croiseur, où de nouveau se firent entendre des bruits de conversations. — L’aventure s’est heureusement terminée, dit le capitaine, dont le sérieux visage s’éclaira d’un bon sou- rire de contentement auquel répondit également un sourire de Vassili Ivanovitch. — Ce Citine, qui avait tout l’air d’un poltron, d’un canard, voyez pourtautl continua le capilaine. — C’est étonnant... Penser que ce propre à rien de matelot s’est jeté à la mer pour sauver un cama- rade!... Mais il faut dire que ce camarade, c’était Choutikoff qui le protégeait, ajouta le second comme explication. Tout l’équipage était dans l’admiration. Prochka devint le héros du moment. Dix minutes après, la baleinière était hissée heureu- sement sur ses bossoirs. Rouges, mouillés, trempés de sueur, la poitrine haletante des efforts qu’ils venaient de faire, les rameurs sortirent de la baleinière cl se dirigèrent vers l’avant, accompagnés de Choulikoff’ et de Prochka, qui se secouaient comme des canards, pâles, émus, heu- l’eux. Maintenant tous considéraient avec respect Prochka, placé en face du commandant qui s’était avancé à sa rencontre. — Tu es un brave, Ciline! dit celui-ci, involontaire- ment surpris à la vue de ce matelot si laid, si disgra- cieux, si gauche, qui venait pourtant de risquer sa vie ])our un camarade. Prochka, se dandinant d’un pied sur l’autre, avait l)erdu contenance. — Maintenant, va, rhahille-toi bien vile, et tu boiras un bon verre de vodka à nu)n compte... Je te propo- serai pour la médaille à cause de ton exploit; et je te donnerai aussi de l’argent en récompense. Complètement ahuri, Prochka n’eut même |)as la présence d’esprit de répondre : " .le ferai tout mon possible (1), " il sourit de l’air d’un homme (pii a |)(!rdu la tête et s’éloigiui avec son balancement de canaid. — Appareillez pourse remettre en route! commanda le caiiilaine en remontant sur la i)asserelli’. A son tour retentit la voix de coinnuindi’uient de rofdcier de quart, qui résonnait nuiinlenanl calme et joyeuse. Rienlôt les voiles furent orientées à nouveau : (I) Korimilo usiti^c chez les Jlusae» pour répondre k un supérieur qui fiiit un ciiiii|iliniiMit à un sulmltcrno.