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voyé. Il fut bien reçu par le roi George III, qui déclara qu’il avait été le dernier à céder, mais qu’une fois le traité signé, il serait le dernier à le rompre. Seulement ce traité, il fallait l’exécuter. Et quand John Adams demandait que l’Angleterre envoyât un chargé d’affaires auprès du congrès, on lui répondait : Nous ne le pouvons pas, c’est auprès des États qu’il nous faudrait envoyer des ministres, et il nous en faudrait treize ! Et John Adams retourna en Amérique, convaincu que tout était perdu si le congrès n’acquérait pas plus de puissance.

On chargea le secrétaire des affaires étrangères, John Jay, un très-honnête homme, un diplomate distingué, d’examiner si le traité n’avait pas été violé par l’Angleterre. Il déclara que les Anglais avaient emmené des nègres et détenaient des postes qu’ils auraient dû livrer. Mais il lui fallut bien reconnaître qu’il y avait trois articles du traité continuellement violés par les États.

Que pouvait faire le congrès ? Rien que s’adresser aux États et leur demander d’exécuter le traité, qui était la loi du pays. La plupart des États se décidèrent ; il y en eut cependant, et notamment la Virginie, qui ne cédèrent pas, ou plutôt, comme toujours, dans cette monarchie singulière, on refusa sans croire refuser : on faisait le mal avec l’intention de faire le bien. La Virginie déclara que c’était elle qui avait le plus souffert. Les Anglais avaient emmené une multitude de nègres qu’ils avaient transportés dans leurs colonies ; elle déclara qu’elle était toute prête à reconnaître le traité, mais qu’elle l’exécuterait quand l’Angleterre donnerait l’exemple, quand on lui aurait rendu ses nègres et évacué les postes frontières. C’est ainsi qu’on arriva au commencement de 1787.

Éd. Laboulate.




LITTÉRATURE.

CONFÉRENCE DE M. CAMPAUX.

(société littéraire de Strasbourg.)

La question des femmes au quinzième siécle.

Le moyen âge, à sa plus belle heure, au xiiie siècle, sous la double influence de l’esprit chevaleresque et de l’esprit religieux alors étroitement unis, avait porté le culte de la femme jusqu’à l’adoration. À l’encontre des anciens, qui ne voyaient en elle qu’une pierre d’achoppement, et pour qui le mythe d’Hercule aux pieds d’Omphale symbolisait la moralité de tout commerce du sexe fort avec le sexe faible, les hommes de cette époque regardaient la femme comme la source de toute vertu, comme le principe de tout bien, et le sentiment exalté qu’elle inspirait comme le ressort le plus puissant de l’âme.

« Quiconque veut aimer, disait Guillaume de Poitiers, doit être prêt à servir tout le monde ; il doit savoir faire de nobles actions et se garder de parler bassement en cour. » C’était le résumé en deux mots de tous les devoirs de la chevalerie.

« L’amour », dit à son tour un autre chevalier, Raimbaud de Vaqueiras, « l’amour améliore les meilleurs et peut donner de la valeur aux plus mauvais. D’un lâche il peut faire un brave, d’un malotru un homme gracieux et courtois ; il fait monter maint pauvre en puissance. C’est le mieux de tout bien. »

Sans l’amour, c’est-à-dire hors de l’influence de la femme, — car ici nous sommes loin de Platon, qui trouvait moyen de parler de l’amour sans parler de la femme, — l’homme, aux yeux des chevaliers du xiiie siècle, n’était ni bon ni méchant : il n’existait pas. Avec ce sentiment dans le cœur, au contraire, il n’était rien dont il ne fût capable en fait de grandes actions. L’amour était le grand éducateur, le grand ennoblisseur par excellence ; il ne transformait pas seulement l’homme, il le transfigurait.

Pour attribuer un pareil pouvoir à la femme, il fallait l’avoir en singulière estime et s’en faire une bien haute idée. En effet, comme elle était pour l’homme la source de toute vertu, elle était sur la terre le bien suprême ; et le sentiment qu’elle inspirait, composé de tendresse et de respect, était, je l’ai dit, un véritable culte, qui se confondait d’ailleurs dans l’esprit des hommes de cette époque avec celui de la Vierge, à qui l’on ne rendit jamais plus d’hommages. Et ce sentiment ne se bornait pas seulement à la dame que l’on aimait, mais s’étendait à toutes. « Toutes servoit », est-il dit du maréchal de Boucicaut, dans le Livre de ses faicts, « toutes honoroit pour l’amour d’une. » El c’était, en effet, le devoir de tout vrai chevalier. La femme était alors, ce n’est pas une exagération, la femme était, à la lettre, un être sacré. Vous en jugerez par un fait. Une charte de 1097, la charte de Bigorre, reconnaissait aux dames le même privilège qu’aux églises, le droit d’asile. L’ombre de leur robe valait pour l’accusé celle du parvis. Qui se réfugiait à leurs pieds était assuré de sa grâce, à la seule condition de restituer le dommage.

En un mot, tout se faisait alors au nom des dames et pour les dames. Elles régnaient, d’un bout à l’autre de la chrétienté, sur les âmes, et, ce qu’il y a de plus admirable, pour les améliorer. C’était le rêve, au moins l’idéal, si ce n’était toujours la réalité ; et, s’il faut juger de la grandeur d’un siècle par la hauteur de son idéal, le xiiie siècle, il faut le reconnaître, était un grand siècle, L’amélioration de l’homme par la femme, tel était le dernier mot de l’amour pour les contemporains de saint Louis. C’est la pensée même du plus magnifique monument de la poésie du moyen âge, de la Divine Comédie de Dante, qui au ciel n’escalade qu’à la suite de sa Béatrice idéalisée et identifiée par lui avec les êtres les plus angéliques, les plus sublimes hauteurs de la théologie. C’est également, quoique à un degré inférieur, celle des sonnets de Pétrarque à Laure de Noves, dont le nom est de-